« On se demandera bien sûr si le monde où nous vivons
est vraiment si renversé qu’il faille toujours le remettre sur pied »
...Robert Musil ‘’l’homme sans qualités" Seuil T1 p 47...

A cette demande, nous répondons
« c’est que, ici maintenant, une fois de plus, il le faut bien ! »

Accueil > Actualité > Solidarité > Suite de la conférence de presse à la LDH du 9 mars Tribune des psychiatres, (...)



Suite de la conférence de presse à la LDH du 9 mars
Tribune des psychiatres, et psychothérapeutes :
L’extradition des ex-brigadistes italiens serait une « catastrophe existentielle »

Prise de position contre l’extradition des Italiens qui ont trouvé asile sur le territoire Français.

mercredi 9 mars 2022

Il peut sembler surprenant que des psychiatres, et psychothérapeutes prennent position face à la menace d’extradition relancée récemment à l’encontre de dix italiens qui ont trouvé refuge en France depuis trente à quarante ans et qui, pacifiquement, y ont « refait leur vie ».

Car il s’agit d’abord d’une affaire politique dont on connaît les circonstances et les conséquences. Dans les années 70, en Italie, dans un climat de grandes tensions sociales et de violence (attentats d’extrême droite), des militants d’extrême gauche ont fait le choix d’une exacerbation des mouvements de révoltes, parfois jusqu’à la lutte armée.

Plus tard, pour qualifier cette époque, des commentateurs parleront de « guerre civile de basse intensité ». Afin de retrouver la paix devaient alors être posées les conditions qui permettraient d’y parvenir.

Elu à la Présidence de la République Française en 1981, François Mitterrand en offrira l’opportunité. Conformément à son programme, il engagera l’Etat Français à accorder l’asile à ceux des militants qui, renonçant à la violence et sortant de la clandestinité, viendraient s’installer pacifiquement sur le territoire Français. Cette décision, prise en concertation avec le gouvernement italien de l’époque, sera réaffirmée très officiellement lors d’un congrès de la Ligue des Droits de l’Homme en 1985. Cette prise
de position qui allait désormais engager l’Etat Français était tout sauf naïve mais plutôt pragmatique et humaine. Comme il l’expliquera : « en matière de terrorisme, l’essentiel est moins de savoir comment on y est entré, que de trouver comment en sortir ». Et l’option qu’il avait prise, allait se révéler probante.

Poursuivis par la police et la justice de leur pays, un bon nombre de militant Italiens viendront alors chercher asile en France, respectant à la lettre les conditions posées par François Mitterrand. Chacun à sa manière se montrera fidèle au pacte qui leur avait été proposé : tous apprendront notre langue, parfois reprendront des études, trouveront un emploi, fonderont une famille, et très officiellement, avec l’accord de l’administration, obtiendront des titres de séjour constamment renouvelés.

Par la suite, à quelques malheureuses exceptions près, (l’extradition frauduleuse de Paolo Persichetti en 2002), aucun des gouvernements successifs ne remettra en cause cette ligne de conduite car l’insertion des « asilés » italiens accueillis en France sera en tous points exemplaire. Même le Président Sarkozy, plus récemment, renoncera à l’extradition de l’une d’entre eux.

Sur le plan juridique, la défense de ces personnes a de solides arguments à faire valoir.

Mais ce n’est pas sur ce thème que nous voulons attirer l’attention. Au printemps 2021, la décision du Président Macron de rouvrir le dossier d’extradition, à la demande de l’Etat Italien, non seulement rompt un pacte qui avait démontré sa pertinence, mais plus encore, humainement, dénie toute validité à l’effort de reconstruction personnelle à laquelle sont parvenues les personnes incriminées. C’est comme si pour lui le temps s’était arrêté en 1980, comme si la réalité des vies et des parcours existentiels n’ avait aucune importance, comme si le qualificatif de « terroriste » formulé dans une lointaine époque devait, ad vitam aeternam, rester accolé à ceux qui, justement, ont su se déprendre des logiques du terrorisme. Pourtant, depuis qu’ils sont en France, l’Etat serait bien en peine de leur reprocher quoi que ce soit. De plus, toutes les personnesbrutalement mises en garde à vue puis déférées devant la justice en vue d’une extradition, ont au moins 60 ans voire passablement plus. Les renvoyer vers les geôles italiennes pour un temps qui excédera leur espérance de vie, est, sans l’avouer bien sûr, une manière de les détruire, une mise à mort sous couvert d’une pseudo légalité. La menace qui pèse sur elles ne leur laisse aucune chance. Dépossédées de leur véritable histoire, elles n’auront plus d’avenir. Coupées de leurs proches, enfants et petits enfants, elles n’auront plus qu’à méditer désespérément entre quatre murs qu’il est interdit de changer de vie, quand la possibilité leur en a été offerte.

En haut lieu, on veut présenter l’affaire comme le simple apurement judiciaire d’une vieille discorde avec l’Italie, dont forcément, sans oser le mettre en cause, François Mitterrand serait le responsable. C’est une falsification de l’histoire. C’est aussi, en conséquence, une falsification de l’itinéraire biographique de celles et ceux qui sont incriminés. En niant ainsi leurs parcours, de la lutte armée à la paix civile, on les dépersonnalise, pour les réduire à une figure repoussoir qui satisferait les réflexes pulsionnels primaires de vengeance compatibles avec les manœuvres de basse politique. On ne veut rien savoir du travail psychique qu’elles ont du accomplir pour retrouver en exil, un nouvel équilibre, souvent avec l’accompagnement de psy qui respectaient leurs décisions. La reprise aberrante d’une menace d’extradition que rien ne justifie aujourd’hui, constitue une redoutable entame à leur intégrité personnelle et une manière d’aliéner ce qui faisait leur exemplarité.

Pour chacune d’elles et chacun d’eux, résister à une telle entreprise mortifère, synonyme de « catastrophe existentielle », a déjà un coût en termes psychopathologiques dont on doit s’inquiéter. Si jamais les décisions d’extradition se confirmaient, on pourrait craindre le pire. Mais cette question éthique et clinique importe peu semble-t-il, hélas, dans les sphères décisionnelles.

C’est pourquoi il est nécessaire que des voix s’élèvent afin de mettre un terme à une sinistre affaire qui, au prétexte de la « lutte contre le terrorisme », se trompe manifestement et délibérément de cible sans aucun souci de la vie de celles et ceux qu’elle érige en bouc-émissaire alors que, depuis quarante ans, on ne peut rien leur reprocher

Anna Angelopoulos, psychanalyste ; Olivier Apprill, psychanalyste ; Marilyne Baranes, psychologue ; Alain Batelli, psychanalyste ; Anne Bazin, psychanalyste ; Dr Pascale Beau, psychiatre ; Selma Benchelah , psychologue ; Dr Pascal Boissel, psychiatre ; Dr Clement Bonnet, psychiatre ; Jean Pierre Boulau, psychiatre ; Bernard Bremond, psychanalyste ; Dr Paul Bretécher, psychiatre ; Dr Bastien Bucheron, psychiatre ; Dr Alain Cantero, psychiatre ; Christine Cartier infirmière ; Dr Patrick Chemla, psychiatre ; Lionel Collart, psychologue ; Roselyne Crete, psychologue ; Dr Laura Curutchet, psychiatre ; Martine da Costa, psychologue ; Dr Françoise Dalbet, psychiatre ; Dr Jean Michel de Chaisemartin, psychiatre ; Dr Jean- Michel Delaroch, psychiatre ; Dr Pierre Delion, psychiatre ; Heitor de Macedo, psychanalyste ; Dr Parviz Denis, psychiatre ; Jeanne Drevet, psychanalyste ; Dr Frank Drogoul, psychiatre ; Lysia Edelstein, psychologue ; Dr Roger Ferreri, psychiatre ; Dr Hélène Filet, psychiatre ; Dr Jeanne Filliole, psychiatre ; Françoise Francioli, psychologue clinicienne ; Dr Philippe Gasser, psychiatre ; Christine Gaucher, psychologue ; Sylvette Gendre Dusuzeau, psychanalyste ; Dr Delphine Glachant, psychiatre ; Isabelle Gouret, psychologue ; Valèrie Gregoire, psychanalyste ; Louise Hasson, psychologue ; Dr Serge Hefez, psychiatre ; Liliane Irzenski, psychiatre ; Françoise Jumeau Rudelle, psychanalyste ; Pierre Kammerer, psychanalyste ; Annick Kouba, psychologue ; Vincent Lapierre, psychologue ; Dr Julie Lauer, psychiatre ; Dr Claire Leboursicault, psychiatre ; Dr Catherine Lemoine, psychiatre ; Dr Catherine Lesourd, psychiatre ; Danièlle Lévy, psychanalyste ; Emile Lombroso, psychologue ; Dr Stéphanie Malvoisin, psychiatre ; Dr Judith Maman, psychiatre ; Dr Catherine Martelli, psychiatre ; Dr Jean-Pierre Martin, psychiatre ; Dr Paul Machto, psychiatre ; Faïka Medjahed, psychanalyste ; Bernadette Mernier, psychologue clinicienne ; Simone Molina, psychanalyste ; José Morel Cinqmars, psychologue ; Françoise Nielsen, psychanalyste ; Lucien Nordmann ; Martin Pavelkam pédopsychiatre ; Pr Antoine Pelissolo, psychiatre ; Dr Vincent Perdigon, psychiatre ; Dr Alexandra Pinelli, psychiatre ; Dr Jean-Claude Polack, psychiatre ; Pr François Pommier, psychiatre ; Dr Anne Rauzy, psychiatre ; Dr Sylvia Rener, psychiatre ; Dr Pascale Rosemberg, psychologue clinicienne ; Dr Nathalie Rosso pédopsychiatre ; Marie Jeanne Sala, psychanalyste ; Françoise Tardif, psychanalyste ; Dr Dominique Terres, psychiatre ; Bruno Tournaire Bacchini, psychiatre ; Marie José Vilain, psychologue ; Dr Georges Yoran Federman, psychiatre ; Radmila Zigouris, psychanalyste…


Voir en ligne : L’extradition des ex-brigadistes italiens serait une « catastrophe existentielle »