« On se demandera bien sûr si le monde où nous vivons
est vraiment si renversé qu’il faille toujours le remettre sur pied »
...Robert Musil ‘’l’homme sans qualités" Seuil T1 p 47...

A cette demande, nous répondons
« c’est que, ici maintenant, une fois de plus, il le faut bien ! »

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Suite de la conférence de presse à la LDH du 9 mars
Texte des familles asilées

mercredi 9 mars 2022

Nous sommes des familles des asilés italiens.

C’est peut-être la première fois que vous entendez parler de nous. Et pourtant, nous sommes bien au cœur de cette tempête et de cette décision cruelle d’initier de nouvelles procédures d’extradition contre nos mères, nos pères, nos grands-parents, nos oncles, nos tantes… contre dix asilés italiens, contre nos parents et nos familles.

Nous sommes les oubliés de cette histoire. Pourtant, cela fait presque un an que nous vivons dans l’angoisse de perdre nos êtres chers. Que nous sommes déphasés, perdus, du fait de cet anachronisme qui nous tombe dessus et qui est inconciliable avec notre vie quotidienne depuis des décennies.

C’est de cette absence, de ce manque à vivre, de cette injustice profonde, dont nous voulons vous parler. Parce que cette histoire qui commence au siècle dernier est aussi la nôtre quand, il y a 36 ans la France a donné asile à 300 italiens qui fuyaient l’Italie.

Nous sommes les conséquences humaines de cet asile, son incarnation en chair et en os : nous, LES FAMILLES DES ASILES ITALIENS. Nous sommes la preuve vivante, le témoignage incarné de la parole donnée : nous avons construit notre vie sur la confiance dans l’engagement de l’Etat français, certains qu’il ne pouvait être renié et encore moins 40 ans plus tard, il fut et demeure le socle de notre existence.

En accueillant les asilés, l’Etat français a pris des mesures administratives qui leur ont permis de fonder les familles que nous sommes devenues. Ainsi, au fil des ans, des centaines de mesures administratives et politiques ont contribué à tisser la toile de fond de notre vie familiale et sociale. Comment auraient-ils pu travailler, se marier, avoir des enfants, ouvrir un compte en banque ou accomplir toute autre démarche de la vie quotidienne sans l’accord constant des autorités ?

Mais voilà qu’aujourd’hui nous nous trouvons soudainement à la veille de décisions de justice qui pourraient nous arracher nos proches, nos parents, et détruire nos familles.

Que s’est-t-il produit pour que ces engagements soient balayés d’un revers de main comme si de rien n’était ? Et avec eux nos vies, nos familles ? Pourquoi un tel revirement alors que la pleine et entière réussite du pari de la réinsertion ne peut être contestée par personne ?

La réalité est qu’aucun fait nouveau ne justifie ce qui leur arrive, ce qui nous arrive…sauf un accord de basse politique qui nous sacrifie sur l’autel d’une temporalité électoraliste et populiste.

Pourquoi piétiner aujourd’hui nos droits, nos existences, nos vies ? Sommes-nous des citoyens de seconde catégorie ? Ces italiens ne sont-ils pas devenus des citoyens à part entière qui participent à la vie locale et nationale française depuis des décennies ? Est-ce véritablement faire œuvre de justice que de renier la parole donnée ?

Pourquoi frappe-t-on à notre porte à six heures du matin ? A quel dessein répond une interpellation aussi spectaculaire, sauf à tenter de faire croire à la dangerosité de personnes âgées qui respectent toutes les lois et règles de la vie en société depuis 40 ans ? Pourquoi nous oublier et ainsi nier l’existence des familles sinon pour exhiber des êtres seuls, isolés, et coupés de la société ? Que dire de ce silence coupable du gouvernement à notre égard ?

Tout ceci est une tromperie. Les gouvernements français et italiens véhiculent une série de mensonges pour mieux justifier le marchandage de vies humaines. Ils n’ont pas choisi 10 asilés parmi 200, contrairement à ce qu’ils ont prétendu : il ne restait plus que ces 10 là, jugés plus tard que les autres, qui n’ont pas eu de chance à la loterie des déclarations des repentis et du calendrier judiciaire, et ne bénéficient donc pas de la prescription de leur peine. Voilà la vérité.

« Je n’ai strictement aucun état d’âme… Je suis fier de participer à cette décision », assène le Garde des Sceaux, tout en les arrachant au contexte historique et en osant les rattacher aux attentats d’aujourd’hui. Il est fier d’envoyer mourir en prison ces dix personnes après 40 ans d’asile ? Car, à leur âge, c’est bien de ça dont il s’agit.

Mais le devoir d’un Président et d’un Garde des Sceaux ne serait-il pas d’expliquer que l’exécution d’une peine des décennies après son prononcé, après quarante ans d’asile et d’insertion sociale et professionnelle pleine et entière est un non-sens, un châtiment vain et cruel ?

Ces asilés sont nos familles, nos proches, le socle de notre histoire et de nos vies.

Nous ne serons pas les oubliés de cette histoire et ferons entendre notre voix.