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DÉCRETS ET CIRCULAIRES SUR L’INSTITUTION DES PRISONS « SPÉCIALES », MAI 1977

jeudi 6 janvier 2022

Ce document a pour source un texte de Maria Rosaria Calderone, « L’article 41bis Ord. Pen. (règlement pénitencier) et autres régimes particuliers de détention. Aspects juridiques et sociologiques. », publié sur le site L’altro diritto du Centre de documentation sur la prison, la déviance et la marginalité de l’université de Florence.

Décret interministériel n°450 publié dans le journal officiel du 12 mai 1977 (Bonifacio-Lattaio-Cossiga) pour la coordination des services de sécurité externe des institutions pénitentiaires :

« Considérant que l’importance du phénomène des évasions de prisons attente à l’ordre public, le Garde des Sceaux, de concert avec les ministres de la Défense et de l’Intérieur, décrète : jusqu’à ce qu’il y ait un nombre suffisant d’institutions pénitentiaires répondant aux critères établis par la loi n° 354 du 26 juillet 1975, la coordination des institutions pénitentiaires, comme indiqué dans la disposition du Ministre de la Justice, de concert avec les Ministres de la Défense et de l’Intérieur, sera dirigée par un officier général des Carabiniers nommé par décret du Ministre de la Défense, et ce jusqu’au 31 décembre 1980 ».

Le jour même de la publication du décret, le Ministre de la Justice Bonifacio émet la circulaire n°2419/4873, adressée aux inspecteurs et aux directeurs des établissements pénitenciers, dans laquelle : « la plus grande collaboration avec le général des carabiniers Carlo Alberto Dalla Chiesa est recommandée afin de faciliter ses missions, en particulier en lui transmettant toutes les informations nécessaires concernant la sécurité, l’ordre et la discipline à l’intérieur des établissements. »

<Le 20 mai Dalla Chiesa diffuse la circulaire n°2419/4873, du ministère de la Justice - Direction Générale des Instituts de Prévention et de Peines - secrétariat, 12 mai 1977, ayant pour objet « Sécurité extérieure des Établissements Pénitenciers » (reportée dans la publication des Études sur les Établissements Pénitenciers n°3 mai-juin 1977), dans laquelle il demande des informations détaillées sur : les contrôles effectués sur les personnes qui entrent et sortent des établissements pénitenciers ; les contrôles téléphoniques, demandant en outre des informations détaillées sur les appareils autorisés à l’intérieur des prisons ; les contrôles ayant été effectués par les agents de surveillance dans le périmètre autour des établissements ; les contrôles effectués sur les colis destinés aux détenus ; l’éventuel emploi de détenus dans les activités internes à la prison ; l’indication des fournisseurs de denrées alimentaires ou d’autres types de fournitures admis à l’intérieur de la prison ; les mesures prises quant à l’interdiction pour les détenus de posséder de l’argent ; combien et quelles inspections sont effectuées quotidiennement aux grilles et dans les locaux collectifs. Il était aussi exigé que l’horaire et le résultat de ces inspections soient notés dans un registre tenu à cet effet ; les faiblesses structurelles pouvant être dépassées avec des moyens supplémentaires afin d’être en mesure de garantir la sécurité souhaitée.

L’identification des prisons destinées à devenir de « haute sécurité » fut confié au même Dalla Chiesa qui, en l’espace de quelques mois visita plusieurs établissements pénitenciers de la péninsule ; évidemment tout cela se fit dans le plus grand secret et c’est seulement à la fin de ces opérations que furent diffusées des nouvelles précises quant aux prisons devenues de « haute sécurité » (Corriere della Sera, 23 juillet 1977). Le choix des établissements destinés à devenir prisons spéciales avait déjà été effectué en juin 1977. Dans une lettre du Ministre de la Justice adressée au Directeur Général Altavista, il est fait mention d’une réunion qui a eu lieu le 7 juin 1977 au cours de laquelle ont été décidés les travaux indispensables pour garantir une sécurité maximale dans les établissements de Cuneo, Fossombrone, Trani et Asinara (Document cité dans la thèse de Christian G. De Vito, Système pénitencier et société italienne, vol.III, 2000/2001, Université de Florence).

A la mi-juillet 1977, cinq établissements préalablement vidés furent préparés pour accueillir les personnes considérées comme dangereuses, les anciens détenus ayant été transférés vers d’autres lieux de détention. Concernant la sélection des détenus destinés aux prisons spéciales, le transfert des détenus politiques a d’emblée été évident, à savoir les accusés ou condamnés pour subversion et terrorisme. De plus, l’administration des établissements pénitenciers invita les directeurs des prisons à transmettre une liste des détenus de droit commun considérés comme particulièrement dangereux notamment ceux impliqués dans des épisodes violents (évasions, séquestrations ou violences à l’encontre d’agents de surveillance, révoltes et protestations particulièrement violentes).

Direction des Établissements Pénitenciers, du Ministère de la Justice Bureau III Rome, message destiné aux Inspecteurs des départements adultes le 25 juin 1977 : « Nous vous prions de communiquer les dispositions suivantes afin que les directions des établissements rattachés transmettent de toute urgence la liste des détenus de droit commun qui représentent un danger particulier en rapport avec les délits dont ils ont été inculpés, ainsi que pour leurs comportements en détention, prenant en compte les faits de violence, les actes commis contre les agents de surveillance ou contre d’autres détenus, les évasions ou les tentatives d’évasion. Le directeur général Altavista ». (Document cité dans la thèse de Christian G. De Vito, Système pénitencier et société italienne, vol.III, 2000/2001, Université de Florence).

Pendant environ trois ans, la sélection des détenus fut pratiquée de manière complètement arbitraire et sous la compétence exclusive du Ministre de la Justice et du Général des Carabiniers.

Pour conclure, il faut ajouter que les dispositions contenues dans le décret interministériel du 4 mai 1977, furent étendues aux établissements pénitenciers de Novara et Termini Imerese et que la création d’une « prison spéciale » pour femmes était prévue à Messina. Auxquels s’ajoutent, par décret ministériel du 21 décembre 1977, la maison d’arrêt de la circonscription de Nuoro et la création du département « Agrippa » dans le centre de détention de Pianosa.

Le Décret Ministériel du 4 mai 1977, qui confiait la sécurité interne et externe des établissements pénitentiaires au général Carlo Alberto Dalla Chiesa, fut successivement prorogé par décrets ministériels le 25 novembre 1980 et le 29 décembre 1982.

DÉTENUS À L’ASINARA, NOTES SUR LES CONDITIONS CARCÉRALES, ASINARA 1977 4

« L’Asinara est une île située au nord de la Sardaigne, entièrement consacrée à une colonie pénitencière. Les bâtiments carcéraux sont répartis en trois zones différentes : Cala-d’Oliva, Fornelli et Cala Reale. Cala Reale abrite les détenus condamnés pour des faits en rapport avec la mafia, qui vivent là en résidence surveillée avec leurs familles. Cala d’Oliva et Fornelli ont été utilisés comme « prison spéciale » pour les détenus politiques et les détenus violents. A Cala d’Oliva un vieux poulailler a été rénové et de nouvelles sections sont en construction. Les cellules sont rectangulaires de 4 mètres sur 2,60 mètres et complètement blanches. Dans cet espace, on a installé deux lits superposés pour quatre personnes, une table, un tabouret et un wc à la turque sans aucune cloison.

Quand un détenu veut bouger, les autres doivent rester allongés sur leurs couchettes. Ils sont enfermés dans cet espace 22 heures par jour et ne peuvent absolument pas communiquer avec les détenus des autres cellules. Les deux heures de promenade ont lieu dans une cour, grande comme trois fois la cellule, qui est entourée de murs blancs et fermée par le haut d’un grillage métallique. Au début, les détenus de ce département spécial sortaient prendre l’air cellule par cellule de manière à ce qu’ils ne puissent jamais se rencontrer avec ceux de la cellule adjacente. Suite à la visite d’un député, il leur a été possible de se promener à deux cellules à la fois et toujours les mêmes. Si cette mesure a permis que pendant deux heures par jour, ils puissent voir trois personnes différentes de celles avec qui ils sont contraints de vivre le reste du temps, cela a considérablement réduit l’espace dans lequel ils évoluent. Il est interdit de communiquer avec d’autres cellules ; si parfois ils crient ou se saluent, ils sont immédiatement menacés par les gardiens.

Le seul contact avec l’extérieur est une radio puisque les journaux n’arrivent que selon le bon vouloir de la direction. La tension provoquée par la coexistence forcée de plusieurs personnes dans un espace réduit est aggravée à cause des provocations des gardiens, qui par des menaces ou des allusions et en frappant des coups sur les portes pendant la nuit pour réveiller, cherchent en permanence des prétextes pour faire réagir les détenus et justifier ainsi leurs passages à tabac méticuleusement élaborés. Les perquisitions sont continuelles et à chaque fois toute la cellule est mise à sac.

À Fornelli, les cellules sont un peu plus grandes, environ le double de celles de Cala d’Oliva. Là aussi les détenus vivent à trois ou quatre par cellule, mais l’heure et demie de promenade faite dans une cour semblable à celle de Cala d’Oliva a lieu cellule par cellule.

<Le repas servi par l’administration consiste en une soupe ou des pâtes, environ 60 grammes de fromage ou de mortadelle de piètre qualité ou un œuf. La viande toujours la même est donnée une fois par semaine. Le samedi, 3 tomates sont ajoutées au menu et deux fois par semaine un fruit. Il est interdit de cuisiner en cellule. Les courses sont consenties seulement pour acquérir cigarettes, eau, œufs, café et sucre. Il est interdit d’acheter des pâtes, de la viande et du pain. La douche n’est autorisée qu’une fois par semaine, à condition que les gardiens soient de bonne humeur. Le linge de corps personnel est interdit. Récemment, l’uniforme de la prison a été imposé et les draps de lit ne sont changés que par la volonté des surveillants. Il est arrivé que le changement des draps n’ait lieu qu’après plus de 20 jours. Les effets personnels (linge, livres, etc...) des détenus transférés ne leur sont pas restitués et après plus d’un mois, les sacs des nouveaux arrivants ne leur avaient pas été donnés et ils portaient encore le linge de corps qu’ils avaient lors de leur transfert. Il n’existe pas d’assistance médicale et si quelqu’un est malade il doit faire une demande spéciale pour obtenir des médicaments ; le plus souvent il ne l’obtient qu’après plus d’une semaine. En général, il est distribué un suppositoire valable pour tous types de maladies.

En ce qui concerne le courrier, en plus d’être censuré, il est retenu selon le bon plaisir de la direction et souvent même pas distribué. Pour obtenir un parloir, il faut en faire la demande au directeur, qui décide et répond par écrit au détenu, qui doit ensuite le faire parvenir à sa famille. La demande de parloir met en moyenne 40 jours pour être acceptée. Pour rejoindre l’Asinara, il existe un moyen de transport à Porto Torres fonctionnant trois fois par semaine et en hiver à cause de la mer, il est presque toujours à l’arrêt. Il arrive donc que les proches fassent le trajet et que quand ils arrivent à Torres, ils soient bloqués par l’absence de transport et ne puissent pas bénéficier du parloir. Le permis de visite ne vaut que pour le jour indiqué sur la feuille d’autorisation et il est impossible de faire la demande pour un autre jour car la direction n’est joignable que par téléphone et qu’il est toujours répondu que le directeur est absent. »

S.N., « Lager », Asinara, 22 août 1977.

« Ils oscillent
les restes du jour
et
dans la lumière frugale
nous entendons une mer
résignée
à la poussée des vents.
Nous contemplons un mur blanc
nous contemplons un mur dur
nous contemplons un mur granuleux
nous contemplons un mur offensif
nous contemplons un mur
un mur
un mur
un mur
assourdissant
mur
sur lequel nous continuons
à écrire...
Dans ce paysage
étranger à l’âme et
avec un mur
ils prétendent aplanir
nos consciences ».

Suivant : LES PRISONNIERS DU CAMP DE CONCENTRATION DE L’ASINARA 5 « LA SEMAINE ROUGE » : 19-26 AOÛT 1978, RÉDIGÉ LE MOIS DE SEPTEMBRE 1978, PUBLIÉ PAR LA REVUE ANARCHISMO, OCTOBRE 1978.