« On se demandera bien sûr si le monde où nous vivons
est vraiment si renversé qu’il faille toujours le remettre sur pied »
...Robert Musil ‘’l’homme sans qualités" Seuil T1 p 47...

A cette demande, nous répondons
« c’est que, ici maintenant, une fois de plus, il le faut bien ! »

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POUR LE DROIT DE SE DÉFENDRE DANS LA DIGNITÉ FACE À LA JUSTICE ANTITERRORISTE

Tribune de soutien à Libre Flot en grève de la faim

mardi 22 mars 2022

Nous reprenons cette tribune, déjà publiée par Lundimatin, L’Humanité, Le Media, Politis et Reporterre.

Depuis près d’un mois, « Libre Flot » a entamé une grève de la faim. Détenu à l’isolement pour association de malfaiteurs terroriste depuis décembre 2020, sa mise en examen repose essentiellement sur son soutien à la révolution du Rojava et sa participation à la lutte contre Daesh dans le kurdistan syrien. Nous avons récemment publié un entretien avec l’une de ses co-mise en examen dans lequel elle exposait les tenants et aboutissants de cette affaire. Dans cette tribune publiée simultanément dans lundimatinL’HumanitéLe MediaPolitis et Reporterre, de nombreux intellectuels, artistes, écrivains et militants politiques apportent leur soutien au gréviste de la faim et réclament que le régime d’exception auquel il est soumis cesse.

Dimanche 27 février un militant, placé en détention provisoire depuis 15 mois et maintenu illégalement sous le régime de l’isolement, a entamé une grève de la faim. Pour Libre Flot (surnom), il s’agit du dernier moyen à sa disposition, aux risques de graves séquelles physiques, pour tenter de se défendre d’une accusation qu’il rejette avec force. Il est en effet mis en examen, avec 6 autres personnes aujourd’hui sous contrôle judiciaire, dans une affaire d’« association de malfaiteurs terroriste ». Il s’agit de la première inculpation de ce genre visant un « groupe d’ultragauche » depuis la retentissante affaire dite « de Tarnac » en 2008, qui avait tourné au fiasco pour les services de renseignement et la justice antiterroriste et devait finir dans ans plus tard par une relaxe quasi-générale.

Si les arrestations des 7 inculpé.es du 8 décembre 2020 ont été moins médiatisées que celles de 2008, ce qui ressort du contenu du dossier dans la presse ne peut qu’interroger.

L’enquête, ouverte depuis 10 mois au moment des arrestations, ne laisse apparaître aucune élaboration concrète de projet d’attentat - ni même d’une esquisse de projet -, mais seulement une bien vague « intention de s’en prendre aux forces de l’ordre ». Aucun projet précis, a fortiori aucun projet terroriste, et encore moins de projet terroriste imminent ne viennent donc justifier les arrestations en ce mois de décembre 2020. En revanche, celles-ci interviennent opportunément au moment où un vaste mouvement questionnait le rôle de la police dans notre société, à la suite du soulèvement récent contre les crimes policiers aux États-Unis et de la diffusion virale d’une vidéo dans laquelle on pouvait voir des agents parisiens tabassant un homme noir, Michel Zecler. Mouvement que le gouvernement, devant l’impossibilité de nier dans ce contexte l’existence de « violences policières », cherchait alors à contenir en agitant le spectre des « casseurs », « black blocs » et autres « gilets jaunes radicalisés ».

Il apparaît ensuite que l’enquête est principalement motivée par la présence de Libre Flot aux côtés des YPG du Rojava, parmi d’autres militants internationalistes, dans la bataille contre Daesh à Raqqa en 2017. Depuis son retour, il était en effet surveillé par les services de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui le soupçonnent de chercher à constituer autour de lui un groupe de lutte armée. La DGSI avait déjà tenté d’appliquer à d’autres personnes ce fantasme du vétéran revenu du Rojava pour prendre les armes en France, avant d’être démentie par la justice, et ce dans un contexte plus large de criminalisation des luttes pour l’autodétermination du peuple kurde en Europe. Alors que des milliers d’internationaux s’engagent en ce moment-même pour défendre l’Ukraine, l’iniquité de l’utilisation à charge de l’implication dans le projet communaliste au Rojava saute aux yeux – sans parler de la qualification terroriste pour quelqu’un qui a contribué à la chute de l’État Islamique.

De sa grève de la faim, Libre Flot n’attend la satisfaction que d’une seule revendication : qu’on le libère pour lui permettre de préparer sa défense. D’autres inculpé.es dans cette affaire ont dû attendre des mois – le temps que la cour d’appel ne contredise le juge d’instruction – avant d’avoir simplement accès au dossier, et donc à ce qu’on leur reproche précisément. Les écoutes servant de base à l’accusation (dont la légalité est contestée par certains avocats) ont mis plus de 7 mois avant d’être accessibles à la défense. Libre Flot a décrit, dans plusieurs lettres publiques, la réalité glaçante des effets du régime de l’isolement sur le corps et l’esprit (pertes de mémoire, vertige, douleurs thoraciques, trouble de la concentration, perte de repère spatio-temporel, hébétude, etc.). C’est dans cet état qu’il est censé se défendre d’une machinerie kafkaïenne dans laquelle l’absence d’éléments matériels joue à charge, parce qu’il faut réfuter non pas tant des faits que la construction d’un récit. Les inculpé.es de Tarnac avaient fini par obtenir la déqualification terroriste, en 2017 après neuf ans de bataille judiciaire, en faisant acter par la cour de cassation que les faits qui leur étaient reprochés (le sabotage de l’alimentation électrique de lignes TGV) n’avaient pas été commis « en relation avec une entreprise ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Mais comment se défendre quand il n’est reproché que des « intentions » supposées ?

Aujourd’hui la décision de renouvellement du maintien à l’isolement de Libre Flot vient d’être validée pour la seconde fois par le Ministre de la Justice. Depuis le début ce régime lui est imposé sur la seule base de la qualification « terroriste » de l’affaire, sans rapport avec son comportement en détention, alors que cette mesure n’est censée être justifiée que par des considérations relevant de la sécurité du détenu ou de la prison. Eric Dupond-Moretti, prompt à retrouver sa verve d’avocat pour dénoncer les instructions montées uniquement à charge quand il s’agit de plaider sa propre cause, ne semble pas particulièrement ému par l’utilisation du régime de l’isolement comme moyen de pressuriser un prévenu et de l’empêcher de préparer sa défense. Libre Flot reste donc privé de contact humain jusqu’à nouvel ordre.

Combien de temps devra encore durer sa grève de la faim avant qu’il n’obtienne le droit élémentaire – et d’autant plus important que l’accusation est lourde – de se défendre dans des conditions décentes ?

Une pétition est en ligne pour réclamer la libération de Libre Flot : https://www.mesopinions.com/petition/droits-homme/soutien-greve-faim-liberte-florian/173967

SIGNATAIRES :

Bernard Aspe Philosophe
Gwenn Audic Artiste peintre
Léna Balaud Agricultrice et chercheuse en philosophie politique
Etienne Balibar Philosophe
Ludivine Bantigny Historienne
Jérôme Baschet Historien
Élisa Bausson Travailleuse sociale
André Bernold Ecrivain
Edgar Blaustein Militant associatif
Hamit Bozarslan Historien et politiste
Claude Calame Anthropologue
Joachim Clémence Artiste-chercheur
Vanessa Codaccioni Politiste
Annick Coupé Porte Parole Attac
Alain Damasio Ecrivain
Kamel Daoudi Assigné à résistance
David Dufresne Ecrivain-réalisateur
Michel Dugué Enseignant retraité
Olivier Fillieule Politiste
Isabelle Frémeaux et Jay Jordan Artistes-activistes
Julien Fretel politiste
Laurent Gayer Politiste
Julie Gervais politiste
Olivier Grojean Politiste
Manon Guilbert Ex-inculpée dans l’affaire de Tarnac
Murielle Guilbert et Simon Duteil Co-délégués généraux, Union Syndicale Solidaires.
Claude Guillon Ecrivain
Christiane Renauld Ecrivain
Laurent Jeanpierre Politiste
Antoine Jobard Editeur-imprimeur
Naruna Kaplan de Macedo Cinéaste
Gérard Lambert Utopiste
Jacques Lèbre Ecrivain
Jean-Claude Leroy Ecrivain
Serge Martin Professeur émérite (Sorbonne nouvelle)
Gustave Massiah Membre du conseil scientifique d’Attac
Lola Miesseroff Ecrivaine
Lionel Monier comédien
Corinne Morel Darleux Autrice
Willy Pelletier Sociologue
Serge Quadruppani Auteur et traducteur
Nathalie Quintane, Écrivaine
Mathieu Rigouste Sociologue
Benjamin Rosoux Ex-inculpé dans l’affaire de Tarnac
José Sciuto Cadre en entreprise culturelle
Isabelle Stengers Philosophe
Françoise Vergès Philosophe
Comité limousin de soutien à l’affaire du 15 juin 2021


Voir en ligne : Soutien-a-Libre-Flot-en-greve-de-la-faim