« On se demandera bien sûr si le monde où nous vivons
est vraiment si renversé qu’il faille toujours le remettre sur pied »
...Robert Musil ‘’l’homme sans qualités" Seuil T1 p 47...

A cette demande, nous répondons
« c’est que, ici maintenant, une fois de plus, il le faut bien ! »

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GROUPE PROLÉTAIRE PRISONNIER DÉCENTRALISÉ À TRABUCCATO, "DÉVELOPPEMENTS DE LA SEMAINE ROUGE, 21-23 SEPTEMBRE ASINARA, SECTION TRABUCCATO, 24 SEPTEMBRE 1978"

mardi 4 janvier 2022

De la lutte naît l’union. De l’union naissent de nouvelles luttes. Les luttes enthousiastes de la "Semaine Rouge" ont eu pour effet immédiat d’apporter quelques petites améliorations internes qui touchent des points absolument mineurs vis-à-vis de notre "programme immédiat", point indispensable et non négociable sur lequel reposaient ces premières phases de la lutte. La possibilité d’acheter de la viande à la cantine de la prison, la fourniture d’une ration quotidienne d’eau minérale gratuite, l’eau du robinet ayant toujours été imbuvable, rougeâtre et polluée. Les parloirs se sont déroulés dans des petites salles sans vitres de séparation, mais les anciennes salles des parloirs de torture ont été restaurées et équipées d’un hygiaphone encastré dans une colonne de béton et protégé par une solide grille, donc prêt à être réutilisé dès que le rapport de force serait favorable au pouvoir et à ses serviteurs. Ces "améliorations" représentent la classique carotte que le pouvoir distribue toujours lorsqu’il se trouve en difficulté afin de récupérer et de reprendre le contrôle d’une situation qui risque de devenir incontrôlable. Rien n’a changé en ce qui concerne la "socialité interne" (une seule cour de promenade pour tous, autodétermination dans la composition des cellules, salles pour les activités communes à utiliser en dehors du temps de promenade), bien que le ministre de la justice Bonifacio - stratège du mensonge et fidèle serviteur de l’association de criminelle du capital international - ait déclaré à plusieurs reprises dans des interviews à la radio, à la radio, à la télévision et dans la presse patronale, que tout aurait changé à l’Asinara, que les conditions de vie seraient déjà plus humaines, que la socialité interne serait augmentée avec "effet immédiat" et autres bla-bla-bla et mensonges de ce genre. Le pouvoir, exerce toujours sa domination en appliquant la vieille tactique "diviser pour mieux régner", en atomisant la dissidence, en démembrant l’antagonisme de classe en le diluant en de nombreux ruisseaux et en utilisant tous les moyens à sa disposition - du contrôle des médias à la complicité des partis et des syndicats - pour canaliser l’antagonisme vers des objectifs secondaires, partiels, qui peuvent donc être contenus par des négociations entre les parties en conflit. C’est le cas dans les usines et les prisons, partout où il y a un conflit de classe. Une augmentation de salaire pour contenir le conflit dans l’usine ; des steaks et de l’eau minérale pour éteindre, au moins momentanément, la colère des prisonniers prolétaires... Les luttes proviennent toujours de ses propres besoins, mais si ceux-ci ne sont pas filtrés par une prise de conscience, les luttes ne quittent pas la sphère d’un réformisme plus ou moins teinté de rouge. La rage d’un affamé peut être calmée et récupérée avec un bon steak, mais si à côté des besoins fondamentaux il y a aussi un "besoin" de communisme (prise de conscience), tous les steaks du monde ne suffisent pas pour qu’un camarade se retire des luttes qu’il considère comme justes. En ce sens, le processus révolutionnaire qui a débuté avec la "semaine rouge" et s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui, marque une nouvelle page dans le mouvement des prolétaires prisonniers. Il s’est produit un saut qualitatif très important qui met le pouvoir face à de nouveaux problèmes à l’intérieur des prisons et qui nous met, nous les prisonniers prolétaires, face à une route qui, si elle est bien prise, se révélera gagnante. La "semaine rouge", outre les échos dans l’opinion publique, la solidarité du mouvement révolutionnaire et l’enthousiasme des prolétaires prisonniers protagonistes des luttes, a été riche en indications politiques pour l’avenir.

Pour les prisonniers prolétaires les plus conscients et pour les membres des organisations communistes combattantes otages du pouvoir, un certain nombre de problèmes d’organisation se sont posés, il fallait résoudre absolument les afin d’empêcher le pouvoir de "récupérer" nos luttes. Jusqu’à ce moment-là, nous avions réussi à surprendre l’ennemi en le forçant, grâce à notre initiative, à courir après nous. Nous devions insister sur cette voie, inventer de nouvelles formes de lutte, créer des formes d’organisation qui rendraient chaque prolétaire prisonnier responsable et impliqué dans tout. Il fallait surtout se doter d’un instrument qui puisse concilier : capacité d’organisation et d’analyse ; clarté généralisée sur les objectifs de la lutte mais secret sur les moments et les moyens à utiliser ; être une expression réelle du mouvement des prolétaires prisonniers et non une simple expression de telle ou telle organisation communiste de combat. Être une expression réelle du mouvement des prolétaires prisonniers ne signifie pas se superposer les uns aux autres autres, en se basant sur ses connaissances et son prestige, en préparant un programme théorique à remettre aux prolétaires prisonniers pour qu’ils le traduisent dans la pratique des luttes, mais cela signifie plutôt, de la part des prolétaires prisonniers les plus conscients et préparés et des avant-gardes communistes combattantes, se fondre dans le mouvement des prolétaires emprisonnés, en lui apportant leurs capacités. Il s’agit surtout de saisir et de diffuser la nature politique des luttes afin qu’elles ne s’enlisent pas dans les revendications réformistes, qui ont été pendant tant d’années la caractéristique la plus marquante des luttes à l’intérieur des prisons. C’est savoir concilier - positivement - les poussées "extrémistes" de ceux qui, à partir de leur propre rage nue, voudraient tout détruire en se plaçant devant l’ennemi dans des conditions de faiblesse, avec ceux qui, au contraire, voudraient entreprendre des luttes défensives comme les grèves de la faim ou autres du même type. Enfin, c’est être capable de comprendre, en toute circonstance, ce qu’il faut faire, après avoir soigneusement évalué les différentes tensions de la lutte à l’intérieur du camp, sa propre force, la force de l’ennemi, la situation psychologique - dans le camp et à l’extérieur - qui s’est créée après la dernière phase de la lutte, situation qui fait pencher le rapport de force - à ce moment précis - en faveur de l’une ou l’autre des parties au conflit. Tout cela doit être matière à discussion à l’intérieur du camp, il faut l’évaluer et l’analyser, en discuter dans la cour de promenade (groupes de deux-trois cellules) et en discuter à nouveau dans chaque cellule, afin que chaque prolétaire détenu se sente partie prenante et partage le programme commun de lutte, un programme qui implique la conquête (et non la négociation) d’objectifs concrets et immédiats, des objectifs caractérisés non seulement par leur dimension spatio-temporelle, mais aussi par leur dimension politique. Immédiatement après la "semaine rouge", les camarades les plus actifs et les plus conscients ont commencé à produire et à diffuser des documents à usage interne, incitant chacun à la discussion, à la prise de conscience et à la responsabilité collective. Ce travail capillaire de propagande ne manqua pas de porter ses fruits et nous nous sommes trouvés bientôt dans la nécessité de nous donner une forme organisationnelle efficace, de préparer et de mettre en œuvre une nouvelle phase de lutte pour la conquête de notre "programme immédiat". L’expérience des prisons nous a appris qu’ici, plus qu’ailleurs, l’ennemi a la possibilité d’infiltrer des provocateurs au sein du mouvement de lutte. Il est donc nécessaire de "centraliser" certaines informations concernant le calendrier et les modalités des luttes, afin de mettre l’ennemi devant le fait accompli. Si les luttes représentent l’évolution dans la pratique des tensions et des besoins de chacun d’entre nous, les échéances et les méthodes de lutte doivent être gardées par des camarades qui jouissent de la confiance de l’ensemble du mouvement des prolétaires prisonniers. À cette fin, chaque "groupe de promenade" élisait un délégué, qui pouvait être révoqué à tout moment si ses actions ne correspondaient pas aux intérêts de la communauté qui l’avait élu. Ce délégué avait pour tâche, avec les autres "délégués de la promenade", "de transformer les discussions et les tensions émergeant des assemblées de la promenade et se prolongeant dans chaque cellule en une pratique de combattante. Notre créativité prolétarienne avait réussi à contourner le cloisonnement rigide et l’isolement imposés aux petits groupes : par des expédients intelligents, nous nous étions donné la possibilité de communiquer, dans le plus grand secret, de cellule à cellule, de cour promenade à cour de promenade, de section à section. Les délégués ont donc commencé à construire une stratégie de lutte qui nous aurait permis d’obtenir cette socialité interne qui nous avait été refusée jusqu’alors. Se méfiant de notre calme apparent et conscient que se préparait, l’ennemi a augmenté ses mesures de surveillance : fouille continue des cellules, fouille personnelle à chaque sortie et retour des cours de promenade, etc. Malgré cela, une fois de plus, il a été totalement décontenancé par nos nouvelles luttes. Le jeudi 21 septembre, lors de la tournée de promenade du matin, les camarades de la deuxième section ont arraché les filets anti-évasion au-dessus des neuf petites cours où nous sommes obligés de nous promener par petits groupes. L’alarme est immédiatement déclenché, mais en quelques minutes, tous les camarades ont grimpé sur les toits de ces cours de promenade et se sont rassemblés. Les surveillants du camp avaient été pris par surprise, la socialité interne avait été prise par un acte de force ! Plusieurs exemplaires d’un tract ont commencé à circuler parmi les camarades et quelques exemplaires ont été distribués aux officiers et aux diplômés du camp. En ce qui concerne ce tract et d’autres distribués lors des moments de lutte, il est utile d’apporter une précision : ils sont toujours adressés aux camarades du mouvement prolétarien prisonnier, jamais aux serviteurs du pouvoir. Ils contiennent les motivations de nos luttes, les points indispensables de notre "programme minimum" et en tant que tels sont "aussi" remis à l’ennemi pour information, mais ils ne représentent pas une liste de "revendications", une plateforme de revendication ou d’autres formes de demandes facilement absorbées par le pouvoir avec des marchandages dignes d’un marché local : nous avons pris les espaces internes en luttant. C’est à l’ennemi de décider s’il nous les laisse ou s’il les reprend, en sachant bien que dalle


connaissance du tract, les camarades, en équilibre sur les murs et les filets, s’embrassaient, heureux d’avoir conquis la socialité. Beaucoup d’entre nous ne s’étaient pas vus depuis des années, malgré le fait que nous étions dans le camp depuis longtemps (beaucoup d’entre nous sont enfermés à l’Asinara depuis un an et demi), à quelques mètres de là...

Voici le texte du tract diffusé le jeudi 21 septembre :

<"Camarades, le bourreau d’Etat Bonifacio a assuré à l’opinion publique dans de nombreuses interviews dans la presse et à la télévision que tout aurait changé pour les prisonniers de l’Asinara. Nous aurions déjà plus d’heures de promenade, les filets anti-évasion "anticonstitutionnels" auraient déjà été retirés, la socialité interne aurait déjà été appliquée, les traitements seraient déjà plus humains, les conditions de vie se seraient déjà bien améliorées. Nous savons que tout cela n’est pas seulement faux, mais fait partie d’un seul et même dessein criminel que le bourreau Bonifacio et ses sbires répugnants tentent de déployer afin de nous enlever tout ce que nous avons gagné par la lutte et plus encore. Le projet d’anéantissement contre le prolétariat prisonnier n’a pas cessé, certes le pouvoir a été ébranlé par notre volonté et notre détermination à lutter, il se réorganise maintenant pour préparer une nouvelle contre-offensive et tente d’endormir avec quelques contes de fées lénifiants le vaste mouvement de lutte qui s’est créé en notre faveur. Nous avions déjà affirmé : contre-attaquer pour ne pas être anéanti. Notre tâche est donc de poursuivre la lutte afin d’obtenir de nouvelles conquêtes plus importantes : une seule cour promenade pour tous afin de se rencontrer et discuter ; l’autodétermination des cellules ; la possibilité de cuisiner dans la cellule et d’acheter à la cantine tous les aliments autorisés dans les autres prisons ; le retrait immédiat de l’ordonnance infâme des appels aux parloirs par ordre alphabétique ; une augmentation substantielle du nombre d’heures d’accès à la cour de promenade et l’utilisation des locaux (comme la bibliothèque) pour des activités sociales au-delà des heures de promenade. Nous déclarons que sur ces droits inaliénables qui sont les nôtres, nous ne sommes ouverts à aucune négociation, nous les voulons tous et immédiatement. Camarades, la lutte de ce matin fait partie d’une lutte beaucoup plus générale qui va au-delà des murs de la prison. Nous avons déjà vu comment nos camarades des circuits des prisons spéciales de Novara, Cuneo, Fossombrone, Trani, Termini Imerese, Messina, Favignana, Nuoro et enfermés dans les autres prisons dites normales n’ont pas reculé et ont suivi nos instructions de lutte. Des manifestations et d’autres formes de lutte plus incisives ont également eu lieu et continueront d’avoir lieu à l’extérieur. Nous ne sommes pas seuls, mais notre tâche est immense. C’est notre unité qui fait peur à la direction et à l’État. La tâche de tous les prolétaires prisonniers n’est pas seulement celle de développer les luttes, mais de développer cette unité et l’organisation de cette unité dans le Comité de lutte du Kamp de l’Asinara. Avec l’unité, nous gagnons la liberté. En avant vers la construction du comité. En avant vers la réalisation du programme immédiat. Solidarité pour les autres camarades qui luttent dans les prisons. Comité de lutte des prolétaires prisonniers de l’Asinara, le 21-9-78.

P.S. Aux gardiens : Comme la fois précédente, notre lutte n’est pas dirigée contre vous, donc non seulement nous vous invitons à rester neutres et à ne pas exécuter les ordres criminels de la direction, mais nous vous invitons au contraire à vous faire entendre et à faire valoir vos revendications vis-à-vis de la direction pour améliorer vos conditions de vie. Pour tous les surveillants qui se sont fait de fausses idées, en particulier les officiers de plus haut grade, nous confirmons : le mouvement révolutionnaire n’oublie pas : rien ne restera impuni ! ».

Une fois le temps de la promenade expiré, les camarades sont descendus discrètement des murs et ils ont permis de se laisser accompagner jusqu’à leur cellule. Il n’y a pas eu d’incident avec les surveillants. Dans l’après-midi, les camarades de la première section ont pu sortir pour la promenade comme prévu par la tournée. Dès qu’ils ont été enfermés dans les petites cours de la promenade ils ont tous escaladé les murs par les interstices des filets anti- évasion ouverts par leurs camarades le matin. La même scène s’est répétée comme le matin et, une fois de plus, aucun incident ne s’est produit. Au contraire, de nombreux surveillants ont montré leur solidarité avec notre lutte. De toute évidence, la direction a été totalement décontenancée par la rapidité, la coordination et l’unité exprimées dans l’action. De plus, les conséquences de la controverse qui a suivi la "semaine rouge" ont fait pencher la balance des rapports de force en notre faveur et la direction n’était manifestement pas convaincue de pouvoir réagir et gérer une confrontation physique directe en sa faveur. Le vendredi 22 septembre, les tournées pour les cours des promenades se sont déroulées régulièrement. Le commandant Vitalone nous a "offert" une cour plus grande, habituellement utilisée pour la promenade des prisonniers qui travaillent, où nous pourrions tous nous rassembler. Du côté des surveillants, des policiers et des officiers, c’était tout sourire. De toute évidence, la direction et l’exécutif ne s’étaient pas encore remis de l’action de la veille. Le mode de vie imposé par ces criminels, l’isolement forcé, le cloisonnement rigide, la diffusion d’une pratique terroriste, leur paraissaient être des outils appropriés pour prévenir et décourager une action aussi décisive et dure contre les structures du camp. Cependant, beaucoup d’entre nous n’étaient pas dupes de cette apparente docilité généralisée : nous savions que les sourires d’aujourd’hui cachaient déjà les nouveaux barbelés de demain. Nous savions que la lutte pour atteindre la socialité interne serait encore difficile et longue. La socialité gagnée fut immédiatement utilisée pour convoquer une assemblée générale à laquelle participèrent tous les prolétaires prisonniers. Nos problèmes ont été discutés, la nécessité de poursuivre notre programme de lutte a été réaffirmée, et la confiance dans le comité de lutte a été réaffirmée. Pendant que nous discutions, un hélicoptère nous survolait : les spécialistes de la répression et de l’anéantissement psychophysique devaient observer avec inquiétude la réunion de tant de prolétaires conscients et révoltés, tranquillement assis en cercle pour débattre de leurs problèmes... Après la réunion, le Comité de lutte a publié le document suivant :

"Camarades, la lutte qui a commencé le 19 août et s’est poursuivie jusqu’à hier 21 septembre, avec le sabotage des structures du camp, a été le chemin que nous, prolétaires prisonniers de l’Asinara, avons dû emprunter pour trouver notre unité. En fait, la lutte d’hier avait pour but de réaliser la socialité dans les cours de promenades, avec la démolition des filets anti-évasion au-dessus et nous retrouver rassemblés : et nous avons gagné cela avec une lutte offensive. Ces luttes que nous avons menées et que nous continuerons à mener nous ont appris que la seule façon de récupérer ces moments et ces espaces de socialité et d’unité que l’État, avec la construction de ces camps, nous a enlevés, est de les reprendre nous-mêmes, par notre lutte et en imposant la force que nous donne notre unité. Nous avons également appris que cette unité, qui est notre plus grande force, ne peut se construire qu’avec un programme de lutte qui tient compte de tous nos besoins et de tous nos intérêts. Ce programme a pris encore plus de valeur aujourd’hui et a pour points essentiels : une seule cour de promenade pour tous, que nous puissions nous rencontrer et discuter ; l’autodétermination des cellules ; le retrait immédiat de l’ordonnance criminelle des appels aux parloirs par ordre alphabétique ; une augmentation substantielle du nombre d’heures de promenade et l’utilisation de locaux (comme la bibliothèque) pour des activités sociales au-delà des promenades.

Camarades, nous savons très bien que l’unité obtenue jusqu’à présent est encore peu de chose face aux plans que la direction et l’exécutif du ministère ont pour repousser nos luttes. Nous ne pouvons répondre à ces projets qu’avec une organisation dans laquelle nous nous sentons tous personnellement engagés, parce qu’elle est l’organisation de nos besoins et de nos intérêts. Cette organisation est le Comité de lutte. Ce comité doit désormais construire et organiser les échéances de lutte qui nous attendent encore et qui font partie de notre programme. En effet, nous devons avoir bien clair en tête que la victoire d’hier ne signifie pas que nous avons atteint complètement la possibilité de nous réunir tous ensemble. Celle d’hier, camarades, n’était qu’une étape de ce programme. Cela signifie que nous devons être ceux qui déterminent la composition des cellules et choisissent avec qui les partager ; cela signifie que nous ne voulons pas être divisés en deux tournées pour accéder à la promenade, mais être réunis avec l’ensemble de l’autre section lors d’une seule tournée ! Nous ne pouvons donc pas arrêter ce que nous avons réalisé jusqu’à présent avec la lutte, car nous l’avons vu : la lutte paie ! Avec l’unité on conquière la liberté. Avancer vers la consolidation de la commission. En avant vers la réalisation du programme immédiat. Solidarité avec les autres camarades qui luttent dans les prisons.
Comité de lutte des prolétaires prisonniers de l’île de l’Asinara, le 22-9-78".

Le vendredi soir, à la fin de la tournée de promenade de l’après-midi, la direction du camp a mis de côté ses sourires et a montré son vrai visage. Dans les petites cours de promenade, les travaux de rénovation ont commencé : les filets anti-évasion déchirés sont remplacés par de lourdes grilles métalliques. A ce stade, il était clair que la direction et l’exécutif n’allaient pas céder. Afin de reconquérir notre socialité interne, nous devrions nous préparer à des luttes plus âpres. Chaque cellule était en émoi et un dialogue intense s’est immédiatement engagé entre tous les prolétaires prisonniers. Le Comité de lutte, constatant le désir généralisé de répondre immédiatement par de nouvelles luttes à ce nouveau geste de la direction, s’est immédiatement mobilisé pour évaluer la nouvelle situation et décider de la marche à suivre. Les travaux dans les cours de promenade se sont poursuivis toute la nuit, montrant l’empressement de la direction à remédier à la situation créée par la rupture des filets anti-évasion. Le samedi 23 septembre, dans la matinée, nous n’avons pas été autorisés à sortir en cour de promenade, car les nouvelles "cages à tigres" n’étaient pas encore terminées. À 9h30, à partir de la deuxième section, le signal a été donné qui a déclenché une lutte très dure, une lutte comme celle-ci dans un camp de concentration tel l’Asinara, aurait été impensable seulement quelques mois auparavant. Les occupants de chaque cellule ont détaché les très lourdes fenêtres en fer et ont commencé à les utiliser comme béliers contre les cloisons des cellules. En quelques minutes, toute la section de Fornelli a été inondée d’un bruit sourd, rythmique et furieux. L’alarme s’est déclenchée immédiatement. Dehors, dans la cour, les maçons - kapos, que nous avions insultés toute la nuit, les invitant à refuser de construire les "cages à tigres", se sont enfuis, craignant que nous allions sortir et les lyncher. Après quelques minutes, le bourreau Cardullo est apparu, entouré d’une poignée de surveillants volontaires équipés de matraques, qui, lançant des cris stridents et hystériques, nous a "ordonné" de nous désister, autrement il nous aurait arrêtés lui-même.... Les tables ont été brisées et chacun d’entre nous s’est armé d’une lourde massue, invitant le bourreau et ses serviteurs à tenter d’ouvrir les cellules, pour répéter sa "brillante" opération du 19 août. Pris à nouveau par surprise, non préparés à faire face à une telle situation, Cardullo et ses cogneurs quittent la section dans laquelle seuls les surveillants de la section Fornelli, à nouveau "neutres", restent. Les portes ont été barricadées et le travail de démolition des murs a repris. Après quelques minutes supplémentaires, au lieu de 20 petites cellules, la créativité prolétarienne a "produit" un très grande "cellule", gagnant, pour la deuxième fois en trois jours, cette socialité interne qui avait été refusée pendant trop longtemps. Mais à ce stade, il ne s’agit plus seulement de "relations sociales internes" mais bien de désarticuler définitivement la section Fornelli, en rayant l’Asinara, symbole de la répression du pouvoir, de la carte des prisons spéciales. En plus des murs de séparation, les éviers, les toilettes et tout ce qui pouvait être détruit l’ont également été. En bref, nous avons pris le contrôle total de notre section et nous nous sommes mis en position de repousser un éventuel assaut. Un document a commencé à circuler, remis également aux surveillants, qui sont restés neutres. Le texte souffre un peu de la précipitation et des circonstances dans lesquelles il a été écrit, mais il est efficace :
"Camarades, la Direction et le Ministère avec leurs manœuvres lâches et criminelles, tentent de nous repousser et de nous enlever ce que nous avons gagné : ils veulent nous enfermer dans de véritables cages dégoûtantes. Cela doit être clair pour tout le monde : on ne revient pas en arrière ! S’ils ne nous donnent pas la possibilité de vivre dans cette prison, alors nous la fermerons. Nous la fermerons parce que nous pouvons le faire et que nous avons la force de le faire. Les cerveaux du ministère se croient intelligents, mais depuis un mois, ils ne font rien d’autre que de courir après nos initiatives. Ils installent des tuyaux au-dessus des cours de promenades, si nous ne pouvons pas nous réunir là-dedans, nous le ferons à l’intérieur des sections. Si nous n’avons pas une unique cour de promenade pour nous réunir tous, nous ferons une unique cellule pour tous. Nous demandons à parler avec le juge de l’application des peines dès que possible, à qui nous présenterons nos raisons et nos droits. Nous demandons également qu’une délégation mixte soit envoyée à la section Fornelli avec juge de l’application des peines, comprenant des députés, des avocats, des médecins et des journalistes. Ceci est adressé aux surveillants : le ministère a ses responsabilités, qui sont très sérieuses, mais vous, les surveillants, avez aussi les vôtres et sont les suivantes : n’essayez pas d’entrer dans les cellules avant l’arrivée du juge de l’application des peines et de la délégation parlementaire ; nous n’essayerons pas de sortir. Nous ne voulons toucher aucun surveillant car la contradiction n’est pas entre nous et vous, mais nous ne voulons pas non plus être touchés. Vous savez très bien que nous nous sommes limités et que nous continuerons à nous limiter dans l’utilisation des formes de lutte que nous menons, mais que cela soit clair : nous n’avons pas encore atteint le plafond de notre lutte. Notre unité, notre force et surtout la solidarité complète et totale du Mouvement révolutionnaire et de ses avant-gardes armées, nous permettent d’aller plus loin.
Camarades, commencer une lutte, c’est déjà beaucoup, mais la conduire à son terme dans un sens qui nous est favorable, c’est davantage. Nous devons être mobilisés et vigilants jusqu’à la conclusion de notre lutte. La liberté se gagne par l’unité. Unissons-nous autour de notre comité de lutte. En avant vers la réalisation de nos objectifs.
Vive l’unité du prolétariat prisonnier et le mouvement révolutionnaire de l’Asinara. Le 23-9-78”

Vers midi, le commandant de la prison a demandé à nous parler. Nous l’avons laissé nous approcher et avons écouté ses demandes. Il nous a lancé un « ultimatum » maladroit que nous avons rejeté, en disant que nous ne soumettrions nos conditions qu’au juge de l’application des peines. Après environ une heure, le juge Fiore est arrivé. Une délégation d’entre nous lui a présenté nos exigences et l’a mis clairement face à ses responsabilités : à partir de ce moment et jusqu’à ce que l’affaire soit résolue, lui a-t-on dit, il était responsable de la manière dont les choses allaient se dérouler. S’ils avaient tenté une action de force, la responsabilité aurait été entièrement la sienne et nous l’aurions tenu pour responsable de toute atteinte physique à tout prolétaire prisonnier. On lui a remis une liste d’avocats, de médecins et on lui a même demandé d’être présent avec des journalistes, sans exprimer de préférence pour tel ou tel journaliste à la botte du pouvoir. Ce n’est qu’en présence et sous le contrôle de ces personnes que nous accepterions de quitter la section Fornelli pour être transférés dans d’autres prisons. On lui a également remis le communiqué de presse suivant, à diffuser "auprès des agences de presse".

"Le Comité de lutte des prisonniers prolétaires de l’Asinara s’adresse au mouvement révolutionnaire et à tout le prolétariat et déclare ce qui suit :

Jeudi 21 septembre, les prolétaires prisonniers de l’Asinara, sous la direction du comité de lutte, pendant l’heure de promenade, ont procédé au démantèlement pacifique des filets anti-évasion aux dessus des cours, définis comme "anticonstitutionnels" par plusieurs parlementaires, afin de gagner ces espaces pour les relations sociales internes et externes qui sont contenus dans le programme de lutte immédiat et qui avaient été l’objectif de la semaine de lutte qui a eu lieu du samedi 19 au samedi 26 août. Après avoir assuré aux commandants militaires des surveillants que nous n’avions pas l’intention d’utiliser la violence, mais que nous n’avions pas non plus l’intention de la subir, nous nous sommes rassemblés en haut des murs des cours de promenade, puis à la fin de l’heure réglementaire, nous avons regagnés nos cellules. Toute l’opération s’est déroulée en toute tranquillité. En fait, le lendemain, nous nous sommes rendus tous ensemble dans une seule cour de promenade, après quoi des représentants du comité de lutte ont rencontré le commandant de la section Fornelli, qui nous a assuré que non seulement les filets anti-évasion ne seraient pas retirés, mais que l’isolement des petits groupes dans la cour de promenade ne serait plus maintenu et que tous les prisonniers auraient pu se promener dans une seule cour de promenade. Cette déclaration, ainsi que toute la campagne de presse orchestrée par le ministre de la justice Bonifacio pour calmer l’opinion publique en suggérant que tout avait changé et était déjà plus humain, s’est avérée complètement fausse le soir du vendredi 22 septembre. Après la fermeture des cellules, la direction a fait installer des véritables barres d’acier au lieu de filets anti-évasion au-dessus des cous de promenade qui apparaissaient comme des véritables cages à tigres. Cette opération est toujours en cours et nous invitons chacun à en prendre connaissance. L’installation de ces cages était destinée, selon l’intention du ministère, à supprimer toute possibilité de lutte, afin de poursuivre le projet monstrueux d’anéantissement des prolétaires prisonniers dans les prisons spéciales. Le matin du samedi 23 septembre, on nous a empêchés de sortir en promenade et les cellules sont restées fermées.

À ce moment-là, les prolétaires prisonniers du camp de l’Asinara ont décidé qu’il n’y avait pas de retour en arrière possible et que s’ils ne voulaient pas nous sortir en promenade en commun, on aurait occupé une cellule en commun. Sous la direction du comité de lutte, vers neuf heures du matin, les cloisons des cellules ont été abattues, formant ainsi une seule cellule, mais excluant les cellules des fascistes détenus dans le camp. La tentative d’empêcher la réalisation de cet objectif a été étouffée dans l’œuf par notre détermination, qui n’a jamais débouché sur la violence envers les surveillants. Comprenant que la contradiction n’était pas entre eux et nous, les surveillants eux-mêmes étaient plus soucieux d’avancer leurs propres revendications que de suivre les ordres insensés de la direction. Nous avons ensuite demandé avec force la présence du juge de l’application des peines de Sassari, qui s’est engagé à convoquer une délégation mixte composée de : députés, avocats, médecins, afin de résoudre la situation de manière pacifique. Le comité de lutte déclare que : soit tous les prolétaires prisonniers de la section spéciale ont la possibilité de vivre une vie décente, soit notre lutte ne s’arrêtera pas. Nos objectifs sont bien connus et clairs pour tous. Nous faisons appel au mouvement révolutionnaire et à ses avant-gardes armées que leur intervention puisse nous garantir la poursuite de notre lutte.
Le comité de lutte des prolétaires prisonniers de l’Asinara. Le 23 septembre 1978".

En fin d’après-midi, vers 18 heures, le juge Fiore est revenu pour rendre compte de l’issue de nos demandes. Quant à la visite de parlementaires, médecins, avocats, la situation géographique de l’Asinara ne permettrait pas leur arrivée avant l’après-midi du 24/9 et le ministère n’autoriserait pas, pour des raisons de "sécurité" de nous faire passer la nuit à la section Fornelli à moitié détruite.

Fiore nous a fait cette proposition : transfert temporaire dans trois autres sections (à S. Maria Trabuccato, au Bunker de la centrale). Il nous a fait cette proposition : transfert temporaire vers trois autres sections (à S. Maria Trabuccato, au Bunker de la centrale) ; le transfert temporaire serait effectué par groupes de cellules, sans discrimination envers tel ou tel détenu. Il veillerait lui-même à notre sécurité jusqu’à ce que nous soyons transférés dans d’autres prisons. Il devait également remettre notre communiqué de presse à la presse de Sassari.

Le comité de lutte, après avoir examiné la situation et pris l’avis des prolétaires prisonniers, décide d’accepter les garanties de Fiore. Il a été décidé qu’il valait mieux quitter la section Fornelli, pacifiquement, après avoir remporté une victoire militaire, plutôt que d’en arriver à un affrontement physique aux conséquences imprévisibles. Notre objectif était atteint : la destruction définitive du " mythe " de l’Asinara, transfert pour tous et ensuite la diffusion de notre expérience et de nos techniques de lutte dans les autres prisons spéciales. Tout s’est passé comme prévu. Notre groupe de cellules (16 prolétaires) était placé dans deux grandes cellules de la section Trabuccato. Il s’agit d’une section "fermée" normalement utilisée pour les prisonniers qui refusent de travailler. Il est sécurisé : portes en fer, doubles barreaux aux fenêtres, murs épais. De plus, la surveillance a été renforcée pour l’occasion. Aucun incident n’a eu lieu. Même ici, quelques surveillants montrent de la sympathie pour nos luttes. Il est difficile d’évaluer l’évolution de cette nouvelle situation à chaud. Deux solutions se présentent : a) nous serons réellement transférés et l’Asinara sera démantelée en tant que prison spéciale ; b) maintenant que le mouvement des prolétariens prisonniers est divisé en petits groupes, l’exécutif en profitera pour "restructurer" la section Fornelli, après quoi nous y retournerons tous. La première décision serait la plus "rationnelle », compte tenu également de la controverse suscitée par la visite des parlementaires au lendemain de la "Semaine rouge". Ils ont déclaré qu’il serait absurde de continuer à utiliser l’Asinara comme prison spéciale : avec tout l’argent dépensée pour l’Asinara, quelques prisons sûres et fonctionnelles pourraient être construites sur le continent...

Si la deuxième solution était adoptée, les raisons seraient exclusivement politiques et pourraient être très graves. L’Asinara est une grande île qui est complètement militarisée et sous le contrôle total des carabiniers. Pour que les héritiers du général Di Lorenzo gardent le contrôle de cette île, elle doit continuer à fonctionner comme une prison spéciale. De nombreux parlementaires ont manifestement déjà oublié le projet "Solo" du général Di Lorenzo (le projet « Solo » a été une tentative de coup d’état en Italie qui devait être mené en 1964 par le commandant général des carabiniers Giovanni Di Lorenzo avec l’île de la Sardaigne pour base militaire, seuls les carabiniers étaient censés y participer. Une deuxième tentative de coup d’état a eu lieu en 1970 sous la direction de Valerio Borghese, capitaine de la marine militaire lié à l’extrême droite), les fiches de 300 000 personnalités politiques et culturelles de gauche et les projets des camps de concentration installés secrètement en Sardaigne. Le camp de concentration est maintenant là, il est énorme, il échappe à tout contrôle civil et, surtout, il est parfaitement légal et prospère avec la bénédiction de l’ensemble des partis constitutionnels (arco constituzionale). La Sardaigne, en plus d’être une colonie, un fief où les multinationales du tourisme et de l’industrie s’enrichissent sur une population qui a toujours lutté pour sa liberté, est aussi une immense base militaire de l’OTAN et des États-Unis. Le ferment qui s’agite sur l’île et qui donne des formes organisationnelles révolutionnaires à une rage séculaire, inquiète manifestement les pouvoirs en place. L’Asinara pourrait être la rationalisation du stade chilien de triste mémoire (référence au coup d’état militaire Chili, 1973). L’Asinara pourrait être beaucoup de choses et il serait important d’analyser le problème afin de clarifier les raisons qui, en dépit de toute explication logique, font qu’elle continue à rester un "camp de concentration".

suivant : LES CAMARADES DE CUNEO, PARTIE "PROJET DE DISCUSSION", CUNEO, SEPTEMBRE 1978