« On se demandera bien sûr si le monde où nous vivons
est vraiment si renversé qu’il faille toujours le remettre sur pied »
...Robert Musil ‘’l’homme sans qualités" Seuil T1 p 47...

A cette demande, nous répondons
« c’est que, ici maintenant, une fois de plus, il le faut bien ! »

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Extradition des militants italiens : Macron rétablit la peine de mort

Par Heitor O’Dwyer de Macedo, psychanalyste

dimanche 20 mars 2022

Le Pen l’a rêvé, Macron veut le faire : Mort à tout opposant ! Historique de l’affaire : pourquoi aujourd’hui ? Tribune des professionnels du soin psychique

Ce Mercredi 23 Mars, commence la série des audiences qui doit statuer sur la demande du gouvernement italien d’extradition des militants italiens accueillis en France grâce à la doctrine Mitterand, selon laquelle leur liberté et leur séjour étaient garantis s’ils s’engageaient à renoncer à la lutte armée. Ils avaient choisi cette option pour combattre un pouvoir corrompu qui avait réduit de manière de plus en plus brutale l’espace du débat démocratique. Il y a de ça quarante ans.

Et ils et elles ont dit oui à cette proposition et se sont installés en France. Ils et elles ont eu leur titre de séjour, ont vécu de la solidarité des amis français, puis de petits boulots. Ils et elles ont appris la langue française, puis ont trouvé des emplois stables, se sont mariés, ont eu des enfants, puis des petits enfants. Bref, ce sur quoi la justice française doit statuer c’est si l’on doit extrader en Italie un groupe de papys et mamies, soixante-dix ans en moyenne, pour des très longues peines de prison. Des papys et mamies condamnés donc à la mort physique après le meurtre psychique qu’impliquerait l’acceptation d’une telle demande absurde, obscène. Pourquoi la mort psychique ? Imaginez ce que serait pour vous de d’apprendre, du jour au lendemain, et déjà à un âge vénérable, que la réalité de vie que vous auriez bâtie pendant quarante ans est niée, que votre vie soutenue et reconnue symboliquement par la loi et les institutions de votre pays d’accueil tout d’un coup ne vaut plus rien. Que pouvez-vous dire à vos enfants et à vos petits-enfants sur la société où ils/elles sont né(e)s, qui de façon arbitraire et illégale décide d’annuler rétroactivement la loi qui a fondé l’espoir d’un avenir basé dans le respect de la parole donnée ? Quelle suite existentielle pourront inventer ces enfants et petits-enfants après l’expérience où l’on aurait érigé l’assassinat comme seule réponse au courage d’un combat puis à celui d’un renoncement qui a parié sur – et réalisé ! – une vie vivante et fraternelle, courage qui célèbre aussi la valeur des mots, les mots qui disent la Loi et ceux, en retour, qui sont la promesse (maintenue) de respecter les conditions exigées. Parmi les dix militants menacés d’extradition certains affirment que si une telle hypothèse se réalise ils/elles se suicideront – c’est un choix compréhensible, logique.

HISTORIQUE

Pour l’historique de l’affaire je cite l’excellent article fait par Olivier Doubre, dans le dernier numéro de Politis, suite à la conférence de presse donnée à la Ligue des droits de l’homme, le Mercredi 9 Mars.

« Dans le contexte de l’après-68, le mouvement social, ouvrier et étudiant, atteignait dans la péninsule un niveau de mobilisation massif et unitaire rarement vu en Europe occidentale. En guise de réponse, des franges dévoyées des services de sécurité et de l’armée, parfois anciennement liées au régime fasciste de Mussolini (1922-1943), choisissaient de mettre en œuvre une stratégie de la tension. Utilisant mafias et groupuscules d’extrême droite, elles fomentèrent des attentats meurtriers et aveugles (dans des trains, des gares ou des banques) attribués faussement a des « anarchistes ». Tout cela afin d’attiser un désir d’ordre et de pouvoir autoritaire au sein de la population. Depuis la bombe de la piazza Fontana à Milan en décembre 1969, déposée dans une agence de la Banque nationale de l’agriculture (17 morts, 85 blesses), jusqu’a l’atroce explosion de la gare de Bologne, le 2 aout 1980, bondée en ce jour de vacances d’été (85 morts, plus de 200 blesses).

En face, des dizaines, sinon des centaines, de petits groupes d’extrême gauche empoignaient alors les armes, volontiers convaincus que « la révolution est au bout du fusil » et que le mouvement social se devait de « répondre coup pour coup ». Le pouvoir inaugura alors une politique répressive en votant le premier corpus de lois d’exception qui constitue l’embryon de l’antiterrorisme moderne, avec interrogatoires musclés, réduction des droits de la défense et peines collectives pour tous les membres d’un groupe armé, quelles que soient leurs responsabilités individuelles.

Mais, après des années de conflit, Rome ne sait plus comment sortir de cette violence diffuse. Alors que plusieurs milliers de militants sont condamnés à des dizaines d’années de réclusion, quelques centaines parviennent à s’enfuir à l’étranger. Or le gouvernement socialiste italien de Bettino Craxi, en dépit de déclarations vengeresses, n’est pas mécontent de voir la France de François Mitterrand offrir une porte de sortie à plusieurs d’entre eux, et donc un asile politique : lors du congres de 1985 de la LDH, le président français officialise une politique d’accueil – et surtout d’apaisement –, qui prendra le nom de « doctrine Mitterrand », à condition que ces militants renoncent aux armes et respectent les lois françaises. Évitant ainsi, à la différence des Basques de l’ETA notamment, que la France ne devienne une base arrière des mouvements armés transalpins.  »

Quelques trois cent militants de l’extrême gauche se réfugient en France. Au fil des décennies, nombre de ces ex-militants voient leurs peines ou leur délits prescrits. Et on arrive en 2021 où, un matin d’avril, à 6 heures, Macron envoie sa police chercher les derniers bénéficiaires de la doctrine Mitterand, dont les inculpations et peines ne sont pas encore prescrites, à leurs domiciles - les adresses sont fort bien connues - sous les yeux de leurs familles apeurées.

Je précise : Macron répond alors à la demande de Mario Draghi d’extrader les quelques ex-militants qui sont encore en France. Cette demande avait déjà été faite par Mateo Salvini. Pour ne pas répondre à la sollicitation d’un fasciste Macron refuse de la considérer – en suivant donc l’attitude de tous les gouvernements français jusqu’alors, Sarkozy compris. Puis il accepte celle de Draghi – qui reconduit la demande de Salvini.

En conclusion de son article, Olivier Doubre rappelle les réflexions de Me Irène Terrel lors de la Conférence de presse :

« S’il n’y a aucun fait nouveau et si l’autorité de la chose jugée doit être un principe intangible, le droit français interdit également l’atteinte à la vie privée et familiale ». Et (elle décrit) l’arrogance et le mépris des procédures de l’Italie, qui ose « s’agacer lorsque la chambre de l’instruction demande des compléments d’information à des dossiers lacunaires et mal ficelés, dans un style assez insupportable, alors que, du point de vue du droit français, tout est prescrit depuis longtemps !

POURQUOI AUJOURD’HUI ?

La décision d’Emmanuel Macron de répondre positivement à la demande de Mateo Salvini reprise par Mario Draghi, la prolonge et s’inscrit dans l’option politique de détruire tout contre-pouvoir, option partagée par tous les gouvernements autoritaires de la planète, pour qui Vladimir Poutine a été, jusqu’à l’invasion de l’Ukraine, l’idéal inavoué du chef d’état moderne – relooké, il est vrai, de quelques touches plus, ou moins, cosmétiques de démocratie. Chez Macron, cette violence s’accompagne toujours d’un trait de cruauté perverse : la destruction du mode de vie alternatif de Notre Dame des Landes, puis une police qui tire pour mutiler les manifestants du mouvement gilets-jaune, puis le mensonge du débat citoyen, et encore celui de la convention citoyenne, puis la destruction du service public de santé, de l’éducation, et, maintenant, la condamnation à mort d’un groupe de papys et mamies. Par ce dernier avatar, il rejoint le fantasme des néofascistes italiens (et d’autres néofascistes) de la guerre civile permanente où, de fait, les pauvres qui refusent la soumission sont l’ennemi principal : exterminez ces brutes. Embastiller des citoyens qui vivent légalement et tranquillement dans le pays depuis presque un demi siècle, enfreignant pour cela un grand nombre des principes juridiques de la République, est un avertissement à tout opposant, présent ou futur : on viendra vous chercher n’importe quand, même quarante ans après, n’importe où – Poutine avait dit : même dans les chiottes.

Cette rêverie d’une immense mélasse d’hémoglobine vient rejoindre une obsession qui fait fureur sur les réseaux sociaux, l’obsession reprise par les grands médias : la passion vengeresse des « victimes » dont la soif de réparation exige un châtiment qui anéantirait définitivement tous les « coupables ». L’Etat ne demande plus à la Justice de dire la Loi ; il l’instrumentalise comme l’exécuteur du « contrat » de la vendetta  : la Médiocrité avec la Brutalité qui l’accompagne toujours règnent en Maîtres absolus. Ubu existe. « Le sommeil de la raison, dit Goya, engendre des Monstres. »

Dans un entretien réalisé par Andrea Brassoduro pour les familles des italiennes et italiens aujourd’hui harcelés par le pouvoir macronien, Enzo Traverso, un des plus importants historiens du monde contemporain, remarquait :

« Le paradoxe italien est que les seuls à avoir raconté leur expérience sont les anciens « Brigades Rouges », pas leurs ennemis. L’Etat n’a rien fait, ou presque, pour élucider les complots putschistes, les infiltrations néofascistes qui bénéficiaient de couvertures au sein des appareils étatiques et qui ont fait plus de victimes que le terrorisme de gauche. Personne n’a jamais demandé à l’Etat d’expliquer les centaines de morts (militants, jeunes, étudiants, ouvriers) tués pendant des années par les forces de police. Ceux qui revendiquent « le devoir de faire face au passé » devraient se poser ces questions. Cette « pathologie » italienne a cependant une explication. L’Etat est inflexible contre ses ennemis, très accommodant ou complaisant à l’égard des violences mises en œuvre par ses agents et ses représentants. Il faut cacher les complots et la collusion des appareils d’Etat avec les groupes néofascistes qui mettent les bombes dans les trains ; la persécution des terroristes de gauche renforce la solidité des institutions. Cela ne vaut pas uniquement pour l’Italie. De nombreuses études ont montré qu’en République fédérale d’Allemagne, les condamnations infligées aux membres de la Raf (« Rote Armee Fraktion », la Fraction Armée rouge) dépassent de loin celles prononcées entre 1949 et 1979 à l’encontre des anciens nazis. »

Cette « pathologie » n’est pas étrangère à Emmanuel Macron : un matin d’avril 2021, à 6 heures, il envoie sa police chercher des papys et mamies, vivant paisiblement et légalement en France, qu’il transforme pour l’occasion en éternels dangereux terroristes. Quelques mois plus tard, exactement le 23 Novembre 2021 repart tranquillement en Syrie, Rifat al-Assad, oncle de Bachar al-Assad, condamné par la justice française le 9 Octobre 2021 pour blanchissement d’argent. Rifat al-Assad, qui a vécu une vie dorée en France pendant 37 ans, était le Chef des Brigades de défense syriens, force paramilitaire à l’œuvre dans une répression sauvage en 1982, présent aussi lors du massacre en 1980 de 600 détenus politiques dans la prison de Palmyre. Laisser partir paisiblement chez son neveu sanguinaire un assassin milliardaire, en même temps qu’on s’acharne contre un groupe de vieillards, quelques uns avec une santé très fragile, parfois nécessitant des soins réguliers et intensifs, c’est un exemple de comment le mépris de classe donne la main au cynisme du gangster mafieux. – Penser qu’on pourrait avoir encore de ce type au pouvoir pendant les cinq prochaines années …

Lire aussi :

L’extradition des ex-brigadistes italiens serait une "catastrophe existantielle"


Voir en ligne : Blog Mediapart - 19 mars 2022 - extradition-des-militants-italiens-macron-retablit-la-peine-de-mort