« On se demandera bien sûr si le monde où nous vivons
est vraiment si renversé qu’il faille toujours le remettre sur pied »
...Robert Musil ‘’l’homme sans qualités" Seuil T1 p 47...

A cette demande, nous répondons
« c’est que, ici maintenant, une fois de plus, il le faut bien ! »

Accueil > Mémoires > Progetto Memoria - La torture > EMANUELA FRASCELLA, PROCÈS-VERBAL D’INFORMATION SOMMAIRE, PIACENZA, 19 AVRIL (...)



EMANUELA FRASCELLA, PROCÈS-VERBAL D’INFORMATION SOMMAIRE, PIACENZA, 19 AVRIL 1982

samedi 26 mars 2022

[Interrogatoire devant le procureur adjoint de la République de Padoue, Vittorio Borraccetti, prison de Plaisance, 19 avril 1982]

"Le raid des agents du P.S. à la base de rue Pindemonte n. "2, où le général Dozier était détenu, s’est déroulé comme suit : à l’exception de Giovanni Ciucci qui se trouvait dans la tente de garde du général, nous étions tous dans la cuisine ; l’un de nous a remarqué la présence de la police dans la rue.

Pendant que Savasta, Libera et Di Lenardo se rendaient immédiatement dans la chambre où se trouvaient les armes, je suis restée dans la cuisine pour voir ce qui se passait ; quand j’ai entendu le bruit derrière la porte et réalisé que c’était bien la police, j’ai confirmé cette nouvelle aux autres en les rejoignant dans la salle. Peu de temps après, la porte a été enfoncée et la police a fait irruption ; les agents nous ont ordonné de nous rendre et nous avons quitté la salle en abandonnant nos armes. Tandis que Savasta, Libera et Di Lenardo étaient immédiatement conduits sur le palier, j’ai été retenue par les agents qui me demandaient s’il y avait quelqu’un dans la salle de bain. J’ai dit non et j’ai dit que s’ils le voulaient, ils pouvaient aussi tirer pour être sûrs ; l’un d’eux a en fait tiré un coup de feu provocant un trou dans la porte de la salle de bain. Alors que j’étais dans le couloir dans la situation que j’ai décrite, j’ai pu observer Giovanni Ciucci, allongé par terre recroquevillé sur un côté, dans la pièce où se trouvait la tente et juste à l’intérieur de la tente, alors qu’il recevait des coups de pied par au moins deux hommes. On m’a alors emmenée et on m’a fait allonger sur le sol à côté de mes compagnons ; Je me souviens que nous avions le visage contre terre, la tête du côté de la porte du cabinet médical qui donne sur le palier ; Savasta était le premier à partir de la gauche, après il y avait moi, puis Di Lenardo ; je n’ai pas vu les deux autres. Au début, nous étions menottés mais plus tard, je ne me souviens pas exactement quand, mais certainement avant qu’ils nous emmènent, les menottes ont été remplacées par des bandes de tissu. Nous avions alors également les yeux bandés.

Alors que nous étions allongés sur le palier, nous avons reçu des coups de pied dans les hanches ; quant à moi personnellement, je me souviens d’avoir été battue à plusieurs reprises avec des coups de pied dans les hanches. Je me souviens aussi que quelqu’un m’a pris les pieds et les a tordus (sans me faire mal car en portant les bottes dans la torsion le pied a glissé). Quelqu’un alors soulève ma jupe, baisse mes collants et ma culotte et me donne des coups de pied répétés sur les parties génitales et les fesses.

Pendant longtemps, les jours suivants, j’ai souffert de douleurs au sacrum. On m’a demandé de donner mon état civil et le nom de guerre ; la même question a été posée à Savasta et Libera. Interrogée sur mon nom de guerre, j’ai immédiatement répondu en le déclarant, jugeant inutile de nier à la fois mon état civil et le nom de guerre car les agents pouvaient le connaître facilement, s’ils ne le savaient pas déjà. J’ai aussi entendu Savasta déclarer son nom de guerre ; je n’ai pas entendu si Emilia Libera a fait de même. Mais d’après la façon dont les agents ont posé les questions, j’ai réalisé qu’ils savaient très bien qui étaient Savasta et Libera. Je ne suis pas en mesure de répondre à la question de savoir s’il y a eu des questions spécifiques à Di Lenardo pour lui faire dire le nom de guerre ; Je suppose que oui.

J’ajouterai cependant que lorsque, comme je le dirai tout de suite, on m’a de nouveau amenée dans la maison, on m’a demandé avec insistance de dire le nom de guerre du "grand, blond et barbu", c’est-à-dire Di Lenardo, dont, cependant, les agents montraient qu’ils voulaient connaître les l’état civil précis.

A un certain moment, j’ai été ramenée menottée et en tous cas les mains liées et les yeux bandés à l’intérieur de la maison ; il me semble qu’au début ils m’ont retenue à l’entrée. Ici, quelqu’un m’a demandé si nous avions des voitures et où elles étaient. Pensant qu’il était inutile de nier cette information, j’ai dit où étaient les voitures. Après quoi on m’a demandé le nom de guerre de Di Lenardo ; à ma réponse négative, j’ai reçu un coup de poing dans le dos. J’ai commencé à crier et j’ai ensuite été conduite dans une pièce qui m’a semblé être le salon, où j’ai reçu d’autres coups de poing.

Je précise : d’abord on m’a demandé avec gentillesse si je voulais collaborer et dans cette éventualité on m’invitait à m’asseoir, puis devant mon refus ils ont repris leurs poing dans le dos. Soudain, quelqu’un a soulevé la chemise que je portais et m’a tiré les tétons des seins. Ils ont continué comme ça jusqu’à ce que je décide de leur dire le nom de guerre de Di Lenardo, "Fabrizio". Puis ils m’ont ramenée dehors et recoucher sur le palier. Ici, ils ont recommencé à me battre, comme mes compagnons, avec leurs coups de pied ; je me souviens d’avoir entendu crier E. Libera et tout de suite après un policier commentant les mauvais traitements qui lui étaient infligés et la faisant hurler en réaction au fait qu’elle avait parlé à l’un des camarades proches. Plus tard, lorsque nous avons été détenues ensemble à Vérone, pendant le procès, Emilia m’a dit, se souvenant de cet épisode, que cela s’était produit parce qu’elle avait parlé à Ciucci après l’avoir vu saigner. Je ne suis pas en mesure d’indiquer précisément combien d’agents ont fait irruption dans l’appartement de rue Pindemonte ; dès qu’ils sont entrés, ils m’ont semblé une dizaine, tous vêtus de manière sportive et portant tous une cagoule du type sous-casque ; je ne sais pas si d’autres ce sont rajoutés plus tard. Par contre, à partir d’un certain moment, j’ai eu les yeux bandés et donc je n’étais plus en condition de voir. Par contre, j’ai vu le visage, parce qu’il l’avait découvert, de celui que je crois être le patron et qui nous a intimé à moi et à mes camarades de nous rendre et à qui je me suis rendue. Il m’a semblé être approximativement âgé de trente ans ou moins parce qu’il avait un visage très jeune ; il était petit, un peu plus grand que moi, qui mesure 1,60 m ; il n’avait ni moustache ni barbe. Cette personne avec moi s’est bien comportée et il me semble avoir reconnu sa voix quand j’ai entendu plus tard quelqu’un dire « stop » aux agents qui nous maltraitaient. Je crois que les mauvais traitements qui nous ont été infligés alors que nous étions encore rue Pindemonte n’avaient pas tant pour but de nous faire parler mais constituaient plutôt un exutoire à la tension accumulée par les agents ainsi que l’exutoire d’une forte hostilité à notre égard.

Pendant que nous étions rue Pindemonte, je n’ai entendu aucun de mes compagnons exprimer la volonté de collaborer avec les agents. Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés dans le hall devant l’appartement, je sais juste qu’à un certain moment j’ai été prise en charge et emmenée en voiture à l’endroit où je suis restée jusqu’à ce que je sois transférée à Vérone pour le procès. Bien que les yeux bandés, j’ai reconnu que la voiture dans laquelle je me trouvais se dirigeait vers le Bassanello, après avoir traversé le pont de Bassanello, cependant, j’ai perdu mes repères.

J’étais incertaine au début, une fois arrivée au lieu de détention, si j’étais au poste de police ou à la Caserne des CRS ou au CC 3 de Prato della Valle. Presque immédiatement, j’ai réalisé, à partir de certaines considérations faites par ceux qui m’interrogeaient, que je n’étais pas au CC ; en plus depuis que j’ai pu faire attention à la circulation sur la route voisine j’ai pu comprendre que j’étais à la caserne des CRS.

J’ai été immédiatement placée dans la chambre que j’occupais jusqu’à mon transfert à Vérone et j’ai été assise sur une chaise, les mains liées avec des bandeaux en tissu et les yeux bandés. Les gens ont immédiatement commencé à entrer et à me poser des questions ; au début je me tenais à ce comportement : je répondais aux questions sur mon état civil je refusais de donner des réponses sur l’organisation. Face à mon attitude, il se passe ce qui suit. Lorsque ceux qui m’avaient interrogée sont sortis, d’autres personnes, au moins au nombre de trois, sont entrées dans la pièce. Parmi celles-ci un seul a parlé ; il a commencé à me menacer en disant que personne n’était au courant de mon arrestation,
que j’étais kidnappée, qu’ils auraient pu me tuer. Ces menaces étaient accompagnées de coups, de gifles et de coups à mains ouvertes sur l’abdomen.

Je ne peux pas dire combien a duré cette première rencontre avec eux ; entre autres choses, je mesouviens qu’ils m’ont dit qu’ils avaient tué Ciucci, au lieu de l’emmener à l’hôpital. A un certain moment ils sont partis et je pense qu’ils sont allés dans la chambre de Libera : je dis cela parce que je pense avoir entendu la voix de celui qui m’avait parlé venant de la chambre de Libera. D’autres personnes sont entrées, je pense qu’elles étaient deux ; bien qu’une seule seulement ait parlé. Cette fois, l’attitude a été cordiale : on m’a offert des cigarettes et desserré les liens des mains, qui ont été amenées de derrière mon dos à devant moi, et on a desserré le bandeau sur les yeux. Celui qui parlait a essayé de me persuader de coopérer, disant que mes compagnons parlaient déjà ; toujours mon bon interlocuteur m’a raconté qu’il était un agent du NOCS 4 et qu’il avait été appelé la veille du raid ; il m’a dit qu’il était près de Naples, et qu’il devait partir en vacances le jour même. Il est resté assez
longtemps avec moi et a renvoyé une ou deux fois les policiers qui m’avaient auparavant battue et menacée et qui s’étaient avancés sur la porte pour voir comment les choses allaient. Finalement, cependant, ces agents sont revenus et le bon agent est parti, du moins c’est ce qu’il m’a semblé parce que j’ai senti que quelqu’un avait franchi la porte. Ainsi, lorsque les agents sont revenus, la même personne qui m’avait parlé précédemment m’a posé trois questions précises : quand ai-je rejoint l’organisation et par qui ? Qui était impliqué dans l’enlèvement de Dozier ? Qui était Sara ? Comme je ne répondais pas, ils m’ont fait ouvrir les jambes, ont soulevé ma jupe, ont baissé ma culotte et ont commencé à m’arracher des poils pubiens. J’ai ressenti de la douleur et j’ai crié ; j’ai décidé de donner quelques réponses.

Il me semble que j’ai raconté, en mentant, comment je suis entrée dans l’organisation, et aussi que j’ai donné de fausses indications sur Sara. Par contre, je n’ai fait aucune déclaration sur l’enlèvement de Dozier. Les agents qui m’avaient maltraitée après avoir reçu mes déclarations précitées sont sortis ; le même qui parlait m’a dit de réfléchir encore, qu’ils reviendraient. Un des "bons" est revenu ; je ne sais pas si c’était le dernier, celui qui m’avait dit qu’il était un agent du NOCS et qu’il venait de Naples ou le premier, celui qui m’avait posé les premières questions dès mon arrivée à la caserne et qui est ensuite reparti en disant que il devait aller manger ; il est également possible qu’ils soient venus tous
les deux.

3 CC (Caserne de la gendarmerie)
4 NOCS= Brigade Opérative Centrale de Sûreté, de la police nationale.

Les « bons » sont restés très longtemps avec moi ; au fond de moi, j’étais étonnée que les autres agents aient cru à la fausse histoire de mon adhésion à l’organisation. Pendant que les "bons" étaient avec moi, j’ai entendu beaucoup de cris de Di Lenardo, à qui on demandait encore à plusieurs reprises son nom de guerre. Ces agents que j’ai désignés comme « bons » et qui sont restés longtemps avec moi, comme je l’ai déjà dit, ont continué à me demander de collaborer, mais sans insistance particulière.

Quant à moi, j’étais très inquiète des souffrances que j’imaginais être infligées aux autres que j’entendais crier ; j’étais inquiète pour Ciucci, même si l’un des bons flics m’a dit que ce n’était pas vrai qu’il avait été tué. J’avais aussi peur pour Savasta et Libera, car je me suis rendu compte qu’ils étaient bien connus de la police. Après cette longue période, les autres revinrent ; toujours le même, dont je connaissais la voix, m’a demandé de dire la vérité sur l’adhésion à l’organisation et a répété les questions sur l’enlèvement de Dozier. J’ai confirmé la version que j’avais déjà donnée de mon entrée dans le BR, ajoutant quelques détails que j’avais imaginés entre-temps pour la rendre plus crédible, puis à propos de l’enlèvement de Dozier je dis que nous, les cinq arrêtés, l’avions réalisé.

Les agents ont alors commencé à me maltraiter : ils ont relevé ma jupe, baissé à nouveau ma culotte et arraché d’autres poils pubiens ; ils ont également soulevé ma chemise et tiré mes mamelons. Puis ils m’ont fait me lever et m’ont fait m’appuyer sur la table en me disant qu’ils allaient me violer, en mettant un pied de chaise dans mon vagin. J’ai alors décidé de parler de la participation (dans l’enlèvement) de ’Federico’, c’est-à-dire de Ruggero Volinia. Mais j’ai nié connaître l’état civil de Federico.

Ces agents sont sortis ; d’autres personnes sont entrées mais ne m’ont pas adressé la parole. Avec les faits que j’ai récemment décrits, les mauvais traitements dont j’ai été victime ont cessé. Je dois ajouter que lors de la première rencontre avec les agents qui m’ont maltraitée, celui qui parlait m’a parfois demandé si je me déclarais prisonnière politique et à chaque réponse affirmative me donnait une gifle.

Priée de fournir d’autres indications pouvant mieux décrire la personne qui dirigeait ceux qui m’ont maltraitée et qui était le seul à parler, je réponds que je ne peux que dire que c’était un homme de haute taille et de carrure robuste, d’accent romain. Je suis capable de donner une indication de la hauteur car quand il m’a tiré de la chaise pour m’allonger sur la table ( j’opposais résistance car ils m’avaient prévenue de ce qu’ils voulaient me faire) je l’ai touché avec le tête à hauteur de la poitrine et j’avais l’impression d’un homme grand et robuste. Quant à l’accent romain, j’en suis sure, malgré le fait qu’il parlait d’une voix contrefaite. Souvent, quand il m’insultait, son accent était très clair. Il avait des expressions typiquement romaines, du type « zoccola » 5 (les autres utilisaient habituellement l’expression « putain » envers nous les femmes pour nous offenser fréquemment) qui le distinguaient des autres. Je suis sûr qu’en plus de moi, Libera, Savasta et Di Lenardo ont également subi des mauvais traitements, car je les ai souvent entendus crier tous les trois. Après qu’ils se soient arrêtés avec moi, j’ai entendu Libera crier à d’autres moments ; j’ai entendu Savasta et Di Lenardo plus longtemps.

5 “Zoccola”, mot du dialecte de Rome qui signifie putain.

Je crois que les mauvais traitements de Savasta et Libera ont duré, pour Savasta jusqu’à vendredi dans la nuit, et pour Libera jusqu’à peu de temps après moi et donc avant Savasta. Je donne ces indications car malgré la difficulté que j’ai eu à situer temporellement les faits, je suis en mesure de rapporter l’arrêt des cris de Libera à un moment à peine postérieur de celui où mes mauvais traitements ont cessé. De même, je peux situer l’arrêt des cris de Savasta comme un peu antérieur à au moment où l’on m’a retiré le bandage des yeux et délié les mains, ce qui m’a paru être aux alentours de 4 heures du matin. J’ai entendu Di Lenardo crier plusieurs fois mais je ne sais pas quand il s’est arrêté.

Je n’ai aucune idée de l’heure et du jour où les mauvais traitements dont j’ai été victime ont cessé ; Je me souviens juste que lors d’une des pauses, quand les "bons" policiers étaient là, j’ai entendu les cloches sonner à 19h (je peux le dire car les jours suivants j’ai entendu ces cloches plusieurs fois).

Après cette pause, peut-être le dernier des épisodes de maltraitance s’est-il produit. Je me souviens aussi que lorsque les mauvais traitements ont cessé, je suis resté les yeux bandés et assise sur la chaise, incapable de dormir car chaque fois que j’avais tendance à m’endormir, quelqu’un me réveillait. Je me souviens encore qu’à un certain moment on m’apporta un lit de camp sur lequel je m’allongeai ; une fois allongé sur le lit de camp, j’essayais moi-même de rester éveillée, malgré le grand sommeil, afin de suivre ce qui arrivait à mes compagnons que j’entendais crier de temps à autres.

Des personnes sont venues samedi matin à 4 heures et m’ont réveillée, m’ont délié les mains et enlevé le bandeau. Je peux dire que c’était samedi parce que je l’ai appris peu de temps après avoir parlé avec eux et qu’il était 4 heures parce qu’après environ deux heures que j’étais éveillée, j’ai demandé quelle heure il était et ils ont répondu qu’il était six heures. Les personnes qui étaient entrées étaient au nombre de trois, auxquelles s’ajouta une quatrième. Ils m’ont dit qu’ils étaient de Digos à Gênes (mais peut-être qu’ils me l’ont dit plus tard dans la journée) et ils ont entamé une discussion avec moi pour me convaincre de collaborer. Ils m’ont apporté du lait et du chocolat et m’ont offert des cigarettes ; ils
m’ont ensuite demandé d’expliquer les raisons pour lesquelles je refusais de collaborer et ils m’ont à leur tour expliqué les raisons pour lesquelles ils m’ont conseillé de collaborer. Ils m’ont dit que mes autres compagnons avaient tous commencé à parler. Au final, considérant aussi que les choses que je savais étaient soit liées à mon histoire personnelle, soit déjà connues de la Police ; ou en tout cas pouvant être obtenues à partir des documents saisis, j’ai décidé de parler. Je pense avoir signé le procès-verbal des déclarations dans la nuit de samedi à dimanche. Les officiers de P.G. 6 qui ont signé mon procès-verbal sont parmi ceux qui sont venus le samedi matin pour me détacher et qui sont restés avec moi pour me persuader de parler. Priée de dire si les personnes réputées appartenir aux Digos de Gênes faisaient partie des policiers avec lesquels j’avais eu à faire jusqu’alors, je réponds qu’ayant toujours eu les yeux bandés il ne m’est pas possible de me rendre compte de leur éventuelle présence ; je peux cependant exclure, en comparant les voix, que l’un des Génois ait été soit l’un des "bons" agents, soit le chef de ceux qui m’ont maltraitée. A votre demande de dire quand j’ai rencontré le Dr Genova, je réponds que je l’ai rencontré soit le jour même de ma où j’avais été libérée du bandage sur les yeux, soit le lendemain.

6 PG, Police judizière.

Le dr. Genova m’apparaissait comme celui qui dirigeait le travail d’investigation ; les hommes des Digos de Gênes étaient constamment présents dans les premiers jours de notre détention. Je me souviens qu’un jour, en effet en me souvenant mieux, le jour où j’ai été interrogée par le Dr Papalia, les Génois étaient partis, je pense à Rome, où aurait dû se dérouler la cérémonie de remise des prix de l’opération Dozier ; quelques jours plus tard, ils sont revenus, sont restés quelques jours de plus, puis sont repartis.

A la relecture du procès verbal je précise : les agents qui m’ont ramenée dans la maison depuis le palier et se tenant à l’entrée, qui m’ont demandé le nom de guerre de Di Lenardo, en réagissant avec des coups de poing dans le dos à ma réponse négative, étaient au moins trois ; les mêmes m’ont ensuite emmenée dans la pièce qui me semble être le salon. Ayant crié, l’un d’eux dit : « Rentrons-la à l’intérieur, sinon on entend tout ». Les sous-casques que j’ai mentionnés comme portés par les officiers sont un vêtement en forme de cagoule mais en soie, qui sont normalement utilisés sous le casque de moto. Je sais que Giovanni Ciucci a également été torturé parce qu’il m’en a parlé pendant le procès.

De la même manière, c’est-à-dire par des récits faits par mes compagnons lors du procès, j’ai appris les mauvais traitements infligés à Alberta Biliato (qui raconta les faits en détail à Emilia Libera), Armando Lanza et Roberto Zanca.

Les mauvais traitements que j’ai subis ont influencé le moment de ma décision de collaborer, dans le sens où la souffrance que j’ai subie a accéléré cette décision. Cependant, je crois que j’aurais quand même pris la décision de collaborer avec l’autorité parce que les raisons décisives en ce sens sont de nature politique, telles qu’elles ont été énoncées dans les documents que mes camarades et moi avons rédigés et diffusés lors du procès de Vérone".

Suivant : ANTONIO SAVASTA, PROCÈS-VERBAL, PADOUE, 1 et 2 FÉVRIER 1982