« On se demandera bien sûr si le monde où nous vivons
est vraiment si renversé qu’il faille toujours le remettre sur pied »
...Robert Musil ‘’l’homme sans qualités" Seuil T1 p 47...

A cette demande, nous répondons
« c’est que, ici maintenant, une fois de plus, il le faut bien ! »

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CESARE DI LENARDO, PROCÈS-VERBAL D’INFORMATION SOMMAIRE, CUNEO, 16 AVRIL 1982.

samedi 26 mars 2022

[Interrogatoire du procureur adjoint de la République de Padoue, Vittorio Borraccetti, prison de Cuneo, 16 avril 1982] "

Après l’arrestation qui a eu lieu à l’intérieur de l’appartement de via Pindemonte à la suite de l’intervention de la police, mes compagnons et moi nous avons eu les yeux bandés, les mains attachées derrière le dos et nous avons été obligés de nous allonger face contre terre sur le sol sur le palier devant l’appartement. Je précise qu’on nous a d’abord fait sortir de l’appartement et qu’on nous a fait allonger par terre puis, une fois allongés par terre, on nous a bandé les yeux et on nous a attaché les mains. Avant d’avoir les yeux bandés, je pouvais aussi voir Savasta, Frascella et Libera allongés à côté de moi sur le sol ; alors que nous avions déjà les yeux bandés, Giovanni Ciucci a également été amené et lui aussi a été étendu, du moins je suppose, sur le sol. Pendant que nous étions dans cette position, certains des hommes qui avaient fait irruption (mais il aurait pu s’agir d’autres qui étaient arrivés peu après) ont commencé à marcher sur nous, à comprimer nos têtes avec les pieds, à nous donner des coups de pied dans le hanches et fesses ; de plus, ils ont marché plusieurs fois sur nos pieds. J’ai personnellement ressenti les coups que j’ai décrits ; puisque j’ai entendu mes compagnons se plaindre et même crier, j’en ai déduit qu’ils subissaient également le même traitement. Quelqu’un, à l’aide d’un outil pointu que je suis incapable de décrire car je ne comprenais pas ce que cela pouvait être, arracha mon pyjama, que je portais au moment de la capture, à hauteur de mes fesses, puis me provoque avec le même outil des plaies sur la cuisse gauche. Vous avez lu le premier paragraphe de la page trois du rapport de l’expert médico-légal dans lequel est rapportée la description que j’aurais donnée à l’expert de cet instrument. En fait, j’ai donné cette description parce que je pensais qu’il pourrait s’agir d’une sorte de brosse en fer. Après avoir pris connaissance des photos numéro 7 et numéro 8 jointes au rapport, je déclare que les blessures produites avec l’outil en question sont celles sous la fesse gauche.

Ces coups (avec des blessures conséquentes) infligés à moi et à mes compagnons faisaient suite aux questions qui se posaient depuis le début sur notre identité et nos noms de guerre ; comme nous nous sommes tous limités à dire nos noms et prénoms et n’avons même pas déclaré le nom de bataille, nous avons été battus de la manière décrite pour nous forcer à le révéler. Tant que nous étions allongés sur le sol du hall, aucun de nous n’a prononcé son nom de guerre ; à chaque refus on nous répondait par des coups. J’étais en pyjama et pieds nus ; Je ne sais pas ce qu’étaient les vêtements des autres. Je tiens à ajouter que ceux qui nous ont demandé les noms des guerre ne se sont pas limités à la question pure et simple, mais ont proposé des réponses possibles et se sont déjà montrés au courant de nos noms de guerre : je me souviens qu’ils nous ont demandé si nous étions respectivement ’Fabrizio’ (qui était mon nom de guerre), ’Emilio’ (n.d.b.de Savasta) 1 , ’Martina’ (n.d.b. du Libera), ’Nanni’ (n.d.b.d’une personne que je ne connais pas), ’Giorgio’ (n.d.b.de Ciucci).

Au bout d’un quart d’heure environ, ils m’ont habillé d’un pantalon et d’une paire de chaussures ; sorti de l’appartement, on m’a fait monter dans une voiture qui roulait rue Guizza vers le Bassanello. Malgré les yeux bandés, j’ai reconnu au tracé de la route parcourue, aux arrêts, à la circulation, que nou allions à la Caserne des CRS ; je peux dire cela parce que je connaissais bien Padoue, en particulier je connaissais bien les endroits où étaient les casernes et autres bâtiments de la police. Je dois dire que je m’attendais à être conduit soit chez le CC 2 à Prato della Valle, soit au Commissariat ; Je me suis rendu compte au contraire, comme je l’ai dit, que j’étais transporté à la caserne de CRS. Je ne me
souviens pas quel genre de voiture m’a transporté ; J’étais assis sur le siège arrière entre deux hommes.

J’imagine qu’en plus du chauffeur il y avait une quatrième personne sur le siège à côté, car en chemin j’ai reçu quelques coups de poing dans le ventre qui venaient de l’avant. A la fin du voyage, je me souviens avoir monté, à la descente de la voiture, quelques marches dans un bâtiment : là, on m’a immédiatement fait allonger face contre terre, les mains liées derrière le dos. Le sol peut être en marbre ou en carrelage. Je suis sûr que c’est le même bâtiment dans lequel j’ai été détenu jusqu’au jour de mon transfert à Vérone pour le procès. Je ne me souviens pas, ou plutôt je ne suis pas en mesure de dire, si dès que je suis entré dans le bâtiment on m’a fait m’allonger dans le hall ou dans le couloir donnant sur les chambres, où par la suite nous avons tous les cinq été enfermés. Peu de temps après, on m’a demandé à nouveau de dire mon nom de guerre, puis d’autres questions sur les noms de guerre des autres, sur les bases et en général sur l’organisation ; mon refus de répondre a été suivi d’autres coups sur les hanches, coups de pied, compression de la tête sur le sol. Dès le début, on m’a dit que j’étais kidnappé, à la merci de ceux qui me parlaient, dans un état d’illégalité, que personne n’était au courant de mon arrestation, qu’ils pouvaient me faire n’importe quoi sans crainte de conséquences négatives pour eux. Je ne me souviens plus quand, mais à un certain moment, je crois le premier jour, j’ai été transporté dans la chambre où par la suite je suis resté jusqu’au jour du transfert à Vérone. Périodiquement des hommes entrèrent dans ma chambre lesquels formulaient les questions habituelles puis, n’ayant pas de réponse, me soumettaient à des maltraitances. Je me souviens que
quand ils entraient, ils fermaient la porte derrière eux.

1 n.d.b.= nom de guerre.
2 Caserne de la Gendarmerie.

Parmi les sévices qui m’ont été infligées dans cette première phase, je me souviens des suivants : j’avais été allongé sur le sol et obligé de poser les mollets sur l’assise en cuir d’une chaise à haut dossier, avec les pieds pendants hors du siège ; quelqu’un m’a frappé les pieds avec un outil flexible, semblable à une baguette de plastique à motifs géométriques, utilisée dans les écoles. J’ai été longtemps battu sur la plante des pieds avec ce système (l’instrument était utilisé à plat et du côte de la coupe), par plusieurs hommes qui se relayaient. Je me souviens encore qu’une personne me prenant par les cheveux et le cou m’a cogné plusieurs fois la tête contre le mur.

Vous me demandez comment j’ai compris, les yeux bandés, que la chaise dont je parlais tout à l’heure avait une assise en cuir ou en peau et un dossier haut : je réponds que j’ai senti au toucher qu’elle était en peau ou en cuir, et j’ai pu me rendre compte que le dossier était haut parce que en position assise, il atteignait mes épaules. Je veux ajouter que j’ai été surpris par le fait que le siège était bombé. Ces mauvais traitements ne se sont pas produits de façon continue ; de temps en temps quelqu’un d’autre venait dans ma chambre, la plupart du temps la même personne, qui se déclarait opposée aux méthodes qui étaient utilisées contre moi et m’invitait à collaborer, justifiant la demande par des arguments tels que la fin du combat armé, l’inutilité de mon attitude et à partir d’un certain moment les aveux des autres camarades arrêtés avec moi. Je me souviens aussi de cet épisode : j’ai été abandonné par terre dans ma chambre après avoir été battu de la manière habituelle, quand quelqu’un est entré dans la chambre (que je retiens comme ne faisant pas partie de ceux qui m’ont maltraité et interrogé) qui m’a aidé à m’installer mieux, m’a recouvert d’une couverture, sans me poser de questions. Vous me demandez dans quelle position, assis par terre ou sur un lit de camp, je me suis retrouvé dans la chambre : je réponds que lorsque j’ai subi le traitement de torture, on m’obligeait habituellement à m’asseoir sur le sol, bien que parfois j’ai été battu alors que j’étais sur le lit de camp.

Cependant, l’épisode que je viens de décrire de la personne qui m’a aidé à m’installer sur la couverture s’est produit à un moment antérieur à celui où j’ai été autorisé à m’asseoir sur la chaise, le premier jour. Le lit de camp ne m’a pas été donné tout de suite, mais il me semble le deuxième jour ; cependant, je n’ai pas été autorisé à dormir jusqu’au jour où le saignement dans mon oreille s’est produit et que les mauvais traitements ont pris fin. Je me souviens que dans les périodes de pause, dès que j’avais tendance à m’endormir j’étais réveillé ; étant des périodes de pause, je suppose que ce sont les policiers de garde qui faisaient cela. Certains d’entre eux le faisaient d’une manière hostile à mon égard, d’autres
l’ont fait d’une manière indifférente, sans fougue, et cela m’a fait penser qu’ils exécutaient des ordres donnés par d’autres. Le soir du premier jour, je me souviens avoir mangé un sandwich et bu de l’eau ; j’ai pris des repas réguliers depuis le lendemain. Ayant reçu beaucoup des coups sur la tête, dès le premier jour, si je me souviens bien, j’ai souffert de douleurs à la tête ; j’ai donc demandé à être vu par un médecin. En réalité, la douleur dans ma tête était supportable, mais j’ai un peu exagéré dans l’espoir que l’intervention du médecin puisse mettre fin aux abus. Peu de temps après ma demande, quelqu’un est venu qui s’est présenté comme médecin ; il m’a demandé la description des symptômes et m’a fait respirer profondément une fois ; il m’a alors dit qu’il essaierait de faire quelque chose pour moi.

Lors de cette visite brève et superficielle, on ne m’a même pas enlevé le bandeau et cela m’a fait douter que la personne qui était intervenue fût vraiment un médecin ; de plus, pendant que le médecin présumé restait avec moi, les autres hommes présents faisaient de grosses blagues sur mon malaise avec des blagues du type « il est tombé dans les escaliers ». Lorsque le 1er février j’ai rencontré le médecin qui est intervenu après le début de la douleur à l’oreille gauche, sa voix m’a semblé semblable à celle de la personne qui était intervenue dans la circonstance que je viens de décrire. Vous me lisez une partie de la page 5 du rapport d’expert relative à la première visite chez un médecin ou prétendu médecin ; je reconnais que d’après le récit que j’aurais donné à l’expert, l’épisode est placé au 2ème jour, alors que dans la déclaration que j’ai faite maintenant je l’ai placé au premier jour. Je ne suis pas en mesure de dire avec certitude si cet épisode s’est produit le premier ou le deuxième jour.

Ce n’est qu’à partir du deuxième jour que je me suis rendu compte de la présence dans le même bâtiment où j’étais, dans des pièces voisines, de mes compagnons. J’ai entendu Frascella crier comme si elle avait mal ou si quelque chose la faisait souffrir et j’ai aussi entendu Ciucci crier de la même manière. Je les ai entendus tous les deux crier fort et longtemps à plusieurs reprises. Je me souviens aussi d’avoir entendu Ciucci, le 3ème jour, pleurer et crier des paroles du genre "Je parle, je dis tout".

Le deuxième ou le troisième jour, j’ai été soumis à quelques décharges électriques comme suit. J’étais allongé sur le sol dans la pièce après que la porte ait été fermée. J’ai été dépouillé de mon pantalon et de mes sous-vêtements. Quelqu’un a pris mon pénis par l’avant et a poussé quelque chose près de lui, peut-être un fil, à travers lequel j’ai reçu un choc électrique de faible intensité, moins que les chocs électriques qui peuvent survenir accidentellement, par exemple en insérant une prise. La même chose s’est répétée dans les testicules et l’aine. L’administration des décharges électriques a été répétée deux fois dans la même journée.

Plusieurs hommes sont entrés dans la salle pour faire ce travail, certainement plus qu’il n’aurait suffi. Pendant qu’ils m’infligeaient les décharges électriques, d’autres me donnaient des coups de pied dans les hanches et me comprimaient la tête. Cependant, je précise qu’ils ne l’ont pas écrasée aussi fort que en d’autres occasions. Vous me lisez la page 4 du rapport d’expertise qui rapporte ce que j’aurais dit à l’expert à propos de l’application sur le pénis et les régions pubiennes d’instruments assez rigides, "quelque chose qui semblait avoir avec un fer à soudure" et vous m’indiquez comment cette
déclaration est différente de celle que j’ai faite aujourd’hui en parlant des décharges électriques. Je réponds qu’il n’y a pas de contradiction entre les deux affirmations ; à l’expert, j’ai fait ces déclarations dans le sens de faire allusion soit à des fils de cuivre d’une certaine épaisseur, soit à des fils d’étain de la même épaisseur, qui sont normalement utilisés pour la soudure. J’ai aussi été frappé plusieurs fois au visage à coups de poing et de gifles ; plusieurs fois le canon d’un pistolet se pressa contre mon visage. J’ai souvent été menacé de mort. Les signes de blessures que l’on peut voir sur mon visage sur les deux premières photos jointes au rapport sont une conséquence des coups reçus au visage ; quant à la blessure au nez, justement la plus grosse, je pense qu’elle a été causée par un coup de canon d’un M 12 pris lors de l’épisode dont je vous parlerai plus tard, de la fusillade. Au cours d’un des traitements que j’ai subis, j’ai également été blessé aux mains, notamment une brûlure à la main gauche.

Je me souviens que j’étais allongé sur le sol face contre terre, les mains liées derrière le dos, lorsque j’ai ressenti une sensation de brûlure. J’exclus qu’il s’agisse d’une blessure avec un outil coupant ou d’une brûlure avec une cigarette et cela en raison des caractéristiques de la blessure que j’ai subie.

Plus tard, j’ai remarqué que j’avais une brûlure ou deux sur le côté droit. Quant à la blessure au mollet gauche, mise en évidence sur la photo f. 42 en bas c’était une blessure qui m’a été causée avec un outil pointu, je ne me souviens plus quand. Je me souviens que c’était un travail long et qu’un de ceux qui agissaient a dit aux autres que je ne me plaignais plus. Il me semble me souvenir que cela s’est produit le 2e ou le 3e jour, alors que j’étais allongé sur le lit de camp. 

Le premier jour quelques heures après l’arrestation et le troisième jour on m’a fait boire un liquide assez épais au goût amer ; cette saveur même m’a rappelé le goût similaire d’un médicament, Hydergina Sandoz, que nous utilisions parfois chez nous. Je n’ai jamais ressenti d’effets particuliers après avoir ingéré ce liquide ; je dois également préciser que j’étais dans une situation très particulière pour laquelle je ne pouvais même pas constater certains effets. Certes, cependant, je suis toujours resté conscient et lucide.

Entre autres choses, j’ai également subi la compression des pupilles opérée avec les mains ; de plus,plusieurs fois j’ai été allongé sur le sol sur le côté et pendant que l’un maintenait mon visage immobile avec une joue sur le sol, un autre grimpait sur l’autre joue avec un pied et m’écrasait ainsi la tête. Au 2ème ou 3ème jour, je ne me souviens pas bien, il y a eu un moment où on m’a enlevé le bandage sur les yeux. J’ai été pris dans ma chambre et emmené dans une pièce voisine, où mon bandeau a été enlevé. De cette façon, j’ai pu me rendre compte que j’étais dans une pièce où il y avait une table de bureau avec une machine à écrire dessus ; il n’y avait pas de rideaux ; les volets étaient baissés, il y avait de l’éclairage au néon. Il y avait deux personnes dans la chambre, l’une était celle qui m’avait accompagné depuis ma chambre, dont je ne peux donner aucune description car elle était cagoulée ; l’autre était un homme dans la quarantaine ou la cinquantaine qui ne s’était pas qualifié et il m’a posé des questions sur mon identité et le défenseur que j’avais l’intention de nommer, en tapant les réponses sur une feuille de papier. Je ne me souviens pas si j’ai signé cette feuille ou non ; je me souviens avoir nommé les avocats comme défenseurs Di Giovanni de Rome et Agrizzi d’Udine. Cette même personne, qui parlait avec un accent du sud, m’a également demandé, d’une manière détachée, comme par hasard, si j’étais déjà allé via Mortise 23 à Padoue. Je suis incapable de mieux décrire cette personne ; Je ne pense pas qu’il avait des lunettes. Je tiens à souligner que lorsque cet épisode s’est produit, j’étais déjà dans une condition précaire en raison des mauvais
traitements subis et je marchais avec difficulté, à tel point que dans la pièce avec la table et la machine à écrire, j’étais accompagné de deux personnes, dont une était alors restée dans la chambre. Le 4ème jour, après avoir été prévenu plusieurs fois lors des différents épisodes de maltraitance (ils m’ont dit "on va te sortir et on va te tuer ; on va te mettre dans la chaux ; on peut te faire disparaître car personne sait que vous avez été arrêtés") certaines personnes sont entrées dans ma chambre. Ils ont enlevé les menottes de mes poignets et les ont mises sur mes pieds, tandis qu’ils m’ont attaché les mains avec des bandages en tissu. 

Après avoir resserré le bandeau que je portais sur les yeux, ils ont fait passer un autre bandeau entre mes deux lèvres, couvrant ma lèvre supérieure. Après quoi ils m’ont pris et m’ont porté ; ils m’ont sorti d’une manière dont je ne me souviens pas exactement, mais toujours comme un fardeau, parce que je ne pouvais pas marcher. Ceux qui m’avaient porté m’ont déposé dans le coffre d’une voiture : j’ai pu comprendre que c’était une voiture avec un hayon et qu’elle avait une petite marche au début du coffre. Après avoir été chargé, la voiture a démarré ; je ne suis pas en mesure de donner des indications précises sur le type de voiture, je peux seulement dire que c’était une voiture avec un fort roulis et dans les virages elle penchait beaucoup. Pour cette raison j’ai parlé à l’expert comme exemple d’une Diane ou d’une Renault R 4. Je pense qu’il y avait une autre voiture suivant celle où j’étais, car j’ai entendu un de ceux qui étaient dans la voiture où j’étais dire un mot comme ’attends les’. Je suis sûr qu’il y avait au moins deux personnes dans la voiture dans laquelle j’étais. La voiture est sortie de la caserne, j’en suis sûr, et a parcouru entre autre des rues qui, à cause des vibrations et des bruits qu’on entendait, étaient certainement pavées de cailloux ; je me souviens que nous avons fait de nombreux arrêts et je me souviens aussi avoir entendu fréquemment le bruit des cyclomoteurs le long de la route. Je peux encore ajouter que la voiture roulait principalement sur des routes droites et que la plupart des virages étaient à 90 degrés. Le trajet a duré pas moins d’une demi-heure, peut-être trois quarts d’heure ; avant l’endroit où nous nous sommes arrêtés, il y avait une dernière descente. On m’a fait descendre de la voiture et cette fois j’ai été traîné par deux personnes qui me tenaient par les aisselles ; touchant ,le sol de mes pieds, j’ai senti que nous étions sur l’herbe. On m’a fait m’agenouiller et à ce moment-là, les personnes présentes ont commencé à me frapper principalement à coups de poing ; c’est à ce moment que l’un d’eux m’a frappé au nez avec le M 12.

Parmi eux, il y avait ceux qui jouaient le rôle du colérique et ceux qui au contraire jouaient celui de modérateur des excès. En tout ils devaient être plus de 4 ou 5 : je ne suis pas en mesure d’indiquer le nombre précis. Je me souviens être tombé une fois au sol et avoir été soulevé et ramené en position agenouillée : avec les menottes serrées aux pieds, il était impossible de rester debout. A un certain moment, ils se sont tous éloignés de quelques mètres, tandis que quelqu’un a dit : « Maintenant, nous allons vous tirer dessus » ; peu de temps après j’ai entendu une arme à feu exploser je ne sais pas dans quelle direction. Après l’épisode du simulacre d’exécution et comme j’ai persisté dans le refus de parler, j’ai de nouveau été frappé principalement à coups de poing. L’épisode entier dura 15-20 minutes ; après quoi j’ai été rechargé dans la voiture et ramené à la caserne. J’affirme que j’ai été
emmené à la caserne parce que le voyage de retour dura le même temps que l’aller et aussi en fonction de ce qui s’est passé après et que je décris maintenant.

Terminé le voyage de retour, la voiture s’est arrêtée à un endroit où je suis resté seul à l’intérieur du véhicule pendant environ 5 minutes ; après quoi on m’a fait sortir et conduit dans une pièce fermée.

Mes mains et mes pieds ont été libérés et j’ai été dépouillé, je ne me souviens pas si c’était de tout, en tout cas, certainement, des vêtements de la partie supérieure du corps ; on m’a fait asseoir sur une table avec le tronc posé dessus, alors que ma tête était inclinée vers l’arrière de la table, mes bras étaient attachés le long de deux pieds de la table et mes jambes, pliées, du genou vers le bas, dépassaient de la table du côté opposé de la tête et étaient attachées aux deux autres pieds de la table.

Bras et le bas des jambes (du genou vers le bas) étaient attachés, de la manière que j’ai décrite, avec des liens élastiques. Une fois dans cette position, les hommes qui étaient présents ont commencé à me frapper au visage, sur la poitrine, sur les hanches, accompagnant le tout de menaces d’aggraver le traitement si je n’avais pas décidé de parler. Ma bouche était remplie de gros sel, que j’ai commencé à avaler. A un certain moment alors qu’une des personnes présentes me tenait la tête par les cheveux, une autre me tenait le nez bouché, une troisième me tenait la bouche ouverte en appuyant sur mes joues, on commença, je présume par une quatrième personne, à me verser de l’eau en grande quantité, avec des jets longs et épais, dans la bouche. Celui qui me tenait la bouche ouverte déplaçait aussi ma langue d’une manière qui affectait mon rythme respiratoire. Une partie de l’eau coulait dans l’œsophage, une autre me donnait l’impression de finir dans les voies respiratoires. J’ai ressenti une grande difficulté à respirer et une sensation d’étouffement ; en même temps je continuais à être frappé aux flancs. Ce traitement n’était pas continu, mais il y avait des pauses, pendant lesquelles ma tête était relevée et en partie aussi le tronc, ce que permettait l’élasticité des liens ; dans ces pauses la personne qui dirigeait l’ensemble de ces opérations et qui ordonnait les pauses m’aidait à régurgiter l’eau. Après la dernière pause, le traitement, déjà insupportable depuis le début, m’a provoqué une crise sur le plan nerveux : bien que lucide et maîtrisant ce qui se passait, j’ai été saisi d’un fort tremblement qui m’a même fait sursauter sur la table.

Pendant tout ce traitement, quand je le pouvais, je criais. Face à la crise, les hommes m’ont délié les bras, m’ont fait lever ; puis ils m’ont fait descendre de table et m’ont accompagné près d’un radiateur, me donnant même une couverture. À ce stade, le bandeau a été retiré et du thé m’a été offert. Vers la fin du traitement à l’eau, j’ai ressenti une douleur lancinante à l’intérieur de ma tête, qu’un instant plus tard j’ai localisée à mon oreille gauche. Plus tard, quand j’étais près du radiateur avec la couverture sur moi, à l’oreille gauche s’est déclenchée l’hémorragie. Ayant été libéré du bandage sur les yeux, j’ai pu observer l’endroit où je me trouvais. C’était un endroit avec un plafond bas, à tel point qu’en position debout, je le touchais et je devais baisser la tête (je suis grand · 1,83-1,85).

Le plafond était constitué de poutres en béton qui, par rapport à la position où j’étais, dos au radiateur, étaient horizontales. Je ne me souviens pas des caractéristiques du sol, il me semble qu’il était en carrelage rouge. C’était une pièce du type de celle utilisée pour les douches ou les toilettes dans les communautés ; devant le radiateur, où j’étais accoudé, il y avait une porte par laquelle je suis ensuite sorti. Je ne sais pas s’il y avait d’autres portes ou non. Toujours en regardant avec le radiateur dans le dos, j’ai remarqué sur la droite que la pièce avait une extension qui la faisait globalement en L, et que dans cette extension plusieurs portes s’ouvraient, du type des douches ou des toilettes. Au début de cette extension se trouvait la table sur laquelle j’avais été allongé, à côté de laquelle j’ai remarqué un récipient type poubelle, d’où je présume était prélevée l’eau qu’on m’a fait boire. Au-dessus du radiateur il y avait une fenêtre du type des fenêtres qu’on retrouve au sous-sol.

Peut-être y avait-il un pilier en béton à l’intérieur du sous-sol. L’éclairage était au néon. Les murs étaient jaunâtres mais c’était peut-être dû à l’éclairage. Une fois délié, en plus d’observer les lieux, j’ai également pu constater qu’il y avait quinze à vingt personnes présentes, toutes avec le visage couvert de cagoules de diverses couleurs, bleu, vert, rouge. Beaucoup de personnes présentes portaient des jeans bleus et portaient des pulls et des vestes de différentes couleurs, dont le bleu.

Pendant le traitement avec l’eau, j’ai entendu quelqu’un de loin appeler « Genova » ; je n’ai pas accordé d’importance particulière à la circonstance car, déjà pendant l’épisode de la fausse fusillade, et peut-être même avant que de nombreux hommes aient clairement déclaré qu’ils venaient de la ville de Gênes, faisant référence à certaines opérations anti-BR qu’ils avaient menées dans cette ville.

Quelques jours plus tard, j’associais le nom que j’avais entendu en subissant le traitement de l’eau à ce que j’entendais un gardien faire dans les locaux de la Caserne des CRS : ce gardien entra dans ma chambre et dit à l’un des Digos qu’il était présent dans ma chambre et qui m’offrait une fois de plus la collaboration : "Docteur Genova au téléphone". Cet homme qui s’appelait le docteur Genova était de taille moyenne, de corpulence moyenne, portait des lunettes, avait les cheveux foncés. Je ne connais pas d’autres détails. Ce n’est pas la personne que j’ai citée plus haut qui était venue auparavant me demander mes coordonnées et la désignation d’un avocat. Cependant, je suis capable de reconnaître
avec certitude ce Dr. Genova.

Vous me lisez pages 7 et 8 du rapport du médecin légiste et vous me faites noter la diversité de la description qu’il y est donnée et de celle qui en est faite aujourd’hui : je constate seulement que la description que j’en ai faite aujourd’hui est plus complète, alors que celle que j’avais donnée à l’expert était plus sommaire. Cependant, les choses se sont passées comme je l’ai dit aujourd’hui. Après ce qui s’était passé au sous-sol, où je pense être resté quelques heures, j’ai de nouveau eu les yeux bandés, on m’a fait monter dans une voiture, cette fois sur le siège arrière et ramené dans les locaux de détention. La voiture a parcouru une courte distance et je pense que c’était un virage vicieux, ayant eu l’impression qu’elle avait tourné en rond. Je pense que nous étions déjà à l’intérieur de la caserne.

J’ai été ramené dans la pièce où le bandeau a été retiré de mes yeux (celui qui m’avait été mis dans la bouche avait été retiré avant de commencer le traitement de l’eau) et les menottes ont été retirées ; plutôt, les menottes m’ont été laissées mais pas avec les mains derrière le dos. Ce n’est qu’après un autre jour et demi qu’elles ont été définitivement retirées. En raison de maux d’oreilles et de saignements cette nuit-là, je n’ai pas pu dormir malgré le besoin de dormir parce que je n’avais pas dormi non plus les nuits précédentes. J’ai demandé à plusieurs reprises un médecin qui est venu le lendemain matin. Une fois de retour dans la chambre, on m’a donné plus de thé et aussi une canette de coca. Pendant les quatre premiers jours, j’ai toujours été menotté et j’ai eu les yeux bandés, sauf dans les circonstances déjà mentionnées ; au début, les mains étaient liées avec des bandes de tissu, plus tard avec des menottes qui étaient changées à chaque tour de garde. À cet égard, je me souviens qu’une fois, la personne qui a fait le changement m’a non seulement menotté les mains, mais a également attaché une menotte à une planche du lit : je me souviens que quelqu’un a fait une remarque à ce sujet à la fin du quart de travail.

Suivant : EMANUELA FRASCELLA, PROCÈS-VERBAL D’INFORMATION SOMMAIRE, PIACENZA, 19 AVRIL 1982