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Luigi Bergamin « délinquant par habitude ». Qu’est-ce qui ne va pas avec la prescription déjouée ?

mercredi 16 février 2022

Une circonstance qui impliquait à l’époque une réduction de peine devient des décennies plus tard la circonstance aggravante de la délinquance habituelle ? Angelo Piraino, secrétaire général de Magistratura Indipendente, nous écrit, Sofri répond.

LETTRE AU DIRECTEUR DE IL FOGLIO

 

Le Dr Sofri, en retraçant la procédure pénale du fondateur des Proletari Armati per il Comunismo (Prolétaires armés pour le communisme), Luigi Bergamin, un camarade de Cesare Battisti, critique le fait qu’il ait été déclaré « délinquant d’habitude », bien qu’il ait passé 44 ans de sa vie sans commettre aucune infraction, en invoquant le droit de tout être humain à être pardonné, qui nous a été rappelé par le Saint-Père.

Les réflexions de l’auteur de l’article ont été consciencieuses, au point qu’il affirme lui-même de s’être documenté, mais elles souffrent néanmoins d’une erreur fondamentale : la déclaration de délinquant habituel ne concerne pas l’histoire du condamné après qu’il a commis le crime, mais celle qui le précède. Dans le cas d’espèce, le crime pour lequel Luigi Bergamin a été condamné par jugement définitif, s’inscrit évidemment dans une longue série. Le fait que cette série ait été interrompue est certes positif, mais cela ne peut signifier que son histoire criminelle a été oubliée.

Il est également inapproprié d’assimiler l’institut de la prescription au droit au pardon. La prescription mesure l’intérêt de l’État à poursuivre un crime et est ancrée dans des paramètres objectifs, elle n’est pas liée au parcours de réhabilitation du délinquant, réhabilitation qui peut et doit être reconnue par le biais d’institutions spécifiques du système pénal.

Enfin, je voudrais apporter une dernière précision. Luigi Bergamin a été déclaré délinquant d’habitude, à la demande du Ministère public, par une ordonnance motivée du Magistrat d’Application des Peines de Milan, confirmée par le Tribunal d’Application des Peines et, en dernière instance, par la Cour de Cassation. L’affaire a été évaluée et décidée par un total de neuf juges, qui ont expliqué les raisons de la décision, laquelle a été prise avec toutes les garanties que notre système offre. L’imputer à un seul procureur, qui a accompli avec scrupule et conscience la tâche qui lui a été confiée par la loi, est un argumentum ad hominem artificieux, qui ne fait pas honneur à celui qui s’appuie sur lui pour raisonner.

Angelo Piraino, secrétaire général de Magistratura Indipendente

REPONSE DE SOFRI

Cher Dr Piraino, je vais diviser ma réponse en trois points, correspondant à ceux que vous avez soulevés. La prémisse est que je suis un profane, et vous voudrez bien me donner une circonstance atténuante. Je commence par le dernier point, le plus désagréable : j’aurais développé mon argumentation à la manière ad hominem - ad mulierem, dirais-je, puisqu’il s’agît d’une magistrate. J’avais bien mentionné les différentes décisions, jusqu’à celle de la Cassation, mais je m’étais arrêté sur la procureure Adriana Blasco, celle qui avait été désignée, et louée, par son nom et son prénom par de nombreux organes de presse (je ne les énumère pas, il suffit de cliquer sur Google) comme l’auteure décisive de la démarche qui a empêché la prescription de Bergamin. J’ai ici un article de Il Giornale, qui rapporte (sans nommer d’autres magistrats) l’ « obstination » de Blasco, qui « s’est rendu compte en toute hâte » que la prescription était sur le point d’expirer, et « a obtenu au pas de charge que le fugitif soit déclaré délinquant d’habitude ». Ni la substitute du Procureur Blasco ni vous, vous n’avez pas contesté aux journaux une telle profusion d’arguments ad mulierem.

J’en viens au deuxième point. La différence entre le pardon dont parle un Pape et la prescription dont parle le code me paraît évidente, et je l’ai signalée. Vous m’avez rappelé que « la prescription mesure l’intérêt de l’État à poursuivre un crime ». En effet, la Cour d’Assises de Milan, qui a traité deux fois l’affaire, en rejetant le recours de la substitute du Procureur et en décidant le contraire de la dernière Cassation, avait jugé exactement que « non seulement plus de quarante ans se sont écoulés depuis les faits criminels très graves, mais surtout plus de trente ans se sont écoulés depuis l’irrévocabilité de la sentence dont l’exécution est en discussion ». Et pour le législateur, « l’intérêt de l’État à l’exécution de la sentence doit être considéré comme éteint ».

Et nous en arrivons au point essentiel, qui est aussi le plus embarrassant pour moi, car il met à mal l’estime sincère que je vous porte jusqu’à preuve du contraire. Le fait est que j’ai l’impression que vous voulez vous moquer de moi. De moi, qui serait passé à côté de l’essentiel : « la déclaration de délinquant habituel ne concerne pas l’histoire du condamné après qu’il a commis le crime, mais celle qui le précède ». Vous me dites donc que Bergamin n’a pas commis d’autres crimes au cours des 44 dernières années, mais avant ? Et la justice s’en est aperçue au moins 44 ans plus tard ? Merveilleux : j’imagine le travail de la justice, qui devra désormais revoir tous les dossiers des terroristes d’il y a un demi-siècle pour les mettre à jour avec la certification de délinquance habituelle, puisque ceux qui se consacraient à la lutte armée, comme les toxicomanes et les cambrioleurs, l’ont rarement fait une seule fois. Je ne peux vous dire à quel point je serai soulagé d’avoir à nouveau mal compris.

Il Foglio, 15 février 2022

 

voir :

« Au pas de charge », expression affreuse pour le travail de la justice

Luigi Bergamin "privé de sa prescription" par une qualification de "délinquant par habitude" (delinquente abituale)


Voir en ligne : Luigi Bergamin "delinquente abituale". Cosa non torna sulla sventata prescrizione