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Le Monde 7 juillet 2022 : Les militants italiens d’extrême gauche n’en ont pas ni avec la justice et l’exécutif

Par Christophe Ayad

jeudi 7 juillet 2022

Un pourvoi en cassation a été formé par le parquet contre l’avis défavorable de la cour d’appel à l’extradition, demandée par l’Italie pour des faits de terrorisme durant les « années de plomb » et soutenue par Emmanuel Macron.

Les dix militants italiens d’extrême gauche réfugiés en France et réclamés par Rome pensaient en avoir ni avec la justice, au moins pour quelques années. La cour d’appel de Paris avait, en effet, rendu, mercredi 29 juin, un avis défavorable à leur extradition vers l’Italie a n qu’ils purgent des peines prononcées en leur absence pour des actes de terrorisme remontant aux années 1970 et 1980.

Mais le procureur général, Rémy Heitz, a décidé de se pourvoir en cassation contre la décision de la cour d’appel, comme il l’a annoncé dans un communiqué publié lundi 4 juillet. Ce pourvoi a provoqué la stupéfaction et la colère des avocats des « asilés » italiens, tant la configuration est rare. « Jamais, de toute ma carrière, je n’ai eu droit à un pourvoi en cassation sur la décision d’une cour d’appel en matière d’extradition, con e Irène Terrel, avocate de sept des dix militants italiens. C’est ncroyable. »

Antoine Comte est tout aussi étonné. « D’autant, souligne l’avocat, qu’en matière d’extradition, le pourvoi est clairement limité à des questions formelles par le code de procédure pénale. » L’article 696-
15 stipule qu’une éventuelle cassation ne peut porter que sur les conditions légales dans lesquelles un arrêt a été rendu. En clair, des « vices de forme ».

« Acharnement »

Les avocats des militants italiens, dont fait aussi partie Jean-Louis Chalanset, restent confiants dans le fait que la chambre criminelle de la Cour de cassation ne cassera pas l’arrêt de la cour d’appel favorable à leurs clients. Ils tiennent à souligner la solidité du travail des juges d’appel. « Ils ont travaillé un an sur ce dossier et leurs motivations sont excellentes, souligne M e Terrel. Le droit à un procès équitable fait référence à l’incapacité de l’Italie d’organiser de nouveaux procès dans des conditions satisfaisantes, trente à quarante ans plus tard. La cour évoque aussi la notion de délai raisonnable. En n, la référence à la stabilité de la vie familiale ouvre la porte à une reconnaissance de l’asile dont ces personnes ont bénéficié en France. »

Pour toutes ces raisons, les avocats de la défense estiment que le pourvoi répond à des impératifs politiques. M e Chalanset dénonce « une ingérence de l’exécutif dans le judiciaire [qui] enfreint la séparation des pouvoirs. Le parquet général a dû recevoir des instructions du garde des sceaux », a-t-il déclaré à l’Agence France-Presse. Quant à M e Comte, il y voit « un acharnement » et « la volonté de plaire à l’Etat italien ».

Pour l’avocat représentant l’Etat italien, William Julié, ce « pourvoi est nécessaire » car la chambre de l’instruction de la cour d’appel, « sans nier la gravité des crimes » reprochés aux dix anciens militants,« retient que le trouble à l’ordre public a été atténué par le temps passé ». Or, « le temps qui s’est écoulé a pour cause le manque de coopération de la France », estime-t-il.

De manière inhabituelle, l’exécutif a clairement fait savoir sa préférence. Jeudi 30 juin, lors de sa conférence de presse au sommet de l’OTAN à Madrid, Emmanuel Macron avait souhaité « voir si un recours en cassation est possible » ou « s’il y a encore des voies juridictionnelles qui nous permettraient d’aller plus loin ». « J’ai appuyé la demande du gouvernement italien pour ces brigadistes » en faveur de leur extradition, a-t-il répété comme lors de chaque prise de position sur le sujet.

La « doctrine Mitterrand » reformulée

Il est rarissime qu’un président donne son avis sur une décision de justice et souhaite la faire inverser. « C’est un discrédit politique qu’il porte sur les magistrats, s’insurge M e Terrel. C’est un mépris des décisions de justice et une immixtion politique claire. »

L’Elysée assume complètement cette prise de position, en ligne avec toutes celles d’Emmanuel Macron sur ce dossier, encore sensible en Italie. Il avait même fustigé par le passé une « vision romantique » et une forme de « complaisance » de l’intelligentsia française envers le terrorisme d’extrême gauche en Italie. Le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, était allé jusqu’à comparer les ex-brigadistes aux djihadistes du 13 novembre 2015, dans une comparaison aussi douteuse que malhonnête historiquement.

Dans son combat contre la prescription et l’impunité, Emmanuel Macron reformule la « doctrine Mitterrand », cette règle non écrite définissant, en 1985, les conditions d’accueil des anciens activistes italiens. L’actuel chef de l’Etat y ajoute, en e et, l’exclusion des crimes de sang, qui n’a jamais été énoncée à l’époque − il s’agissait d’un renoncement à la lutte armée − dans les conditions pour que la France accorde son asile. « En l’espèce, ces gens-là ont été impliqués dans des crimes de sang et méritent d’être jugés sur le sol italien. C’est le respect que nous devons aux familles des victimes et à la nation italienne », a-t-il ainsi déclaré à Madrid.

Or, c’est justement au nom de la doctrine Mitterrand que ses prédécesseurs n’ont pas livré à Rome des hommes et des femmes condamnés en Italie pour des crimes de sang et que la justice française avait jugée extradables. « Il y a une dissonance étrange chez ce président qui veut réconcilier les mémoires sur la guerre d’Algérie et mettre à plat le génocide au Rwanda, mais qui n’accepte pas les décisions de justice sur les années de plomb », constate Antoine Comte.